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directe avec les forces divines de la nature. En lui se déchaîne l’énergie sexuelle, pour laquelle les Grecs avaient une sorte de respect religieux comme pour une puissance créatrice ; mais en lui se manifeste aussi une divination spontanée, avec des fusées de sagesse et des lueurs de prophétisme. En un mot, le Satyre est un ressouvenir et une reviviscence de l’Atlante, chez qui la clairvoyance existait à l’état naturel. Telle est la raison profonde qui a fait sortir la tragédie d’un chœur de Satyres. Dans son exaltation dionysiaque, la troupe des bacchans déguisés en Faunes, pleurant et célébrant le Dieu mort et ressuscité, rappelant de ses chants et de ses cris, finit par en avoir l’hallucination. C’est l’apogée du dithyrambe. Quand l’habile metteur en scène se présente sous la figure de Bacchus, parle en son nom, raconte ses aventures et s’entretient avec le chœur, qui accueille le récit de son martyre par des chants funèbres et de sa résurrection par un délire de joie, il ne fait que réaliser le désir de la foule surexcitée de ce dédoublement subit du moi, de cette projection de la vision intérieure en action vivante est née la tragédie. Dionysos a jailli vivant de l’enthousiasme du dithyrambe. Il n’a plus qu’à se fractionner dans la multitude des Dieux et des hommes, — et ce sera le drame divin et humain. Le théâtre est debout pour toujours. On aurait pu croire a priori que le drame fut primitivement une imitation de la vie réelle ; il n’en est rien. Le plus puissant des arts est sorti de la soif d’un Dieu et du désir de l’homme de remonter à sa source. Ce n’est qu’après avoir vu son Dieu, que l’homme a ri de son déchet, c’est-à-dire de lui-même.

On imagine le succès d’un tel spectacle, avec ses émotions violentes, multiples et contradictoires, sur un auditoire prime-sautier. Dans les campagnes, les fêtes devinrent des représentations dramatiques accompagnées de danses et arrosées d’innombrables outres de vin. Quand Thespis vint donner ses représentations à Athènes, un véritable délire s’empara de la ville. Hommes et femmes, gens du peuple et lettrés, tout le monde fut entraîné. Les magistrats en prirent du souci, et il y avait de quoi. Plutarque raconte dans la Vie de Cimon que Solon fit appeler Thespis et lui demanda « s’il n’avait pas honte de présenter au peuple de si énormes mensonges. » Le sage d’alors qui gouvernait la cité devait craindre moins l’illusion innocente de la scène que la profanation des Mystères par les