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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/68

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divinité plus aimable encore qu’imposante. J’ai osé lui dire, même dans les premiers momens, toute la tendresse, toute la vénération qu’il m’inspire. Il a bien voulu trouver aimable tout ce que me dictait l’ivresse où sa présence m’avait jetée. Un de ses amis m’a dit le lendemain que, quoique rassasié d’hommages, il avait pourtant joui du mien, parce qu’il l’avait trouvé vrai. Après lui avoir beaucoup parlé de lui, j’ai pu enfin lui parler de nos amis communs. Vous êtes celui dont il m’a parlé avec le plus d’estime et de tendresse. Il dit que vous lui ressemblez par votre zèle pour la vérité et votre amour pour l’humanité. Il m’a fait votre portrait comme si toute sa vie il avait vécu avec vous. Il m’a donné à votre occasion un conseil bien cher, car en prouvant beaucoup d’estime pour vous, il montre aussi quelque intérêt pour moi ; et puis, il ne me conseille que ce que je fais depuis longtemps : « Distinguez bien, madame, cet ami de tous les autres ; préférez-le à tous. C’est de toutes les âmes que je connais celle qui convient le plu ? à votre sensibilité et à votre raison. » Il vous trouve heureux, m’a-t-il dit, de vivre avec moi ; il se félicite bien de vous voir avec M. Dalembert à la tête de nos Académies, mais il voudrait, que vous ne vous exposassiez ni l’un ni l’autre aux persécutions qu’il a éprouvées. Il vit toujours dans la crainte du Parlement et de ses arrêts. Cela m’attriste pour sa tranquillité que je crois qu’on n’oserait troubler. J’ai été un peu scandalisée de la manière dont il m’a parlé de l’ouvrage de M. Necker. Je ne vous répéterai point ses expressions, cela vous ferait trop rire ; méchant que vous êtes. On m’écrit de Paris que tous vos écrits sont toujours plus violens et que M. et Mme Necker sont fort contristés. C’est vous qu’il faut que j’accuse de tout cela et cependant je ne puis cesser de vous aimer, tout cruel que vous êtes.

Tachez d’être à Paris pour mon retour, que je me voie entourée en arrivant de tout ce que j’aime. Le patriarche est au désespoir que vous ayez fait de Pascal un si grand homme ; nous sommes, dit-il, de grands sots ; si M. de Condorcet, a raison. Nous vous avons acheté une montre, M. de Voltaire n’entendait pas trop cet article de votre lettre, il croyait la montre commandée ; et quand je lui ai dit que vous le priiez simplement de vous acheter une montre de sa petite colonie, il m’a dit que je ferais un meilleur commentateur que Grossius. Adieu, mon ami, je vous embrasse bien tendrement.


Tel fut ce voyage à Ferney qui représente pour Mme Suard l’épisode principal, et l’heure la plus brillante de sa vie. Elle pouvait, au retour, se déclarer satisfaite, j’entends : satisfaite d’elle-même. Au moment où la religion de Voltaire était dans son plein, elle avait trouvé le moyen de se distinguer par l’excès de son enthousiasme : c’était un résultat. Elle laissa des souvenirs. C’est à elle que fait allusion Mme de Genlis, dans le chapitre de ses Mémoires où, racontant sa propre visite à Ferney en 1776, elle écrit : « Il était d’usage, surtout pour les jeunes femmes, de s’émouvoir, de pâlir, de s’attendrir, et même de se