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III

C’était une femme, en effet, et quelle femme !

Grande, élancée, avec cette liberté dans la démarche et cette aisance dans le geste qu’ont les femmes très bien faites, Sophie de Grouchy était remarquablement belle. A la beauté elle joignait la grâce. Ses portraits nous montrent un visage charmant de jolie femme. Les yeux ont ce long regard si troublant, les lèvres sont spirituelles, fines, ironiques, malicieuses. Elle était de celles qu’on ne peut approcher sans en devenir bout de suite un peu amoureux. Les séductions de l’esprit le plus brillant et le plus orné continuaient l’enchantement. Née dans une famille de vieille noblesse, la « belle Grouchette » avait dans le sang, elle aura dans les sentimens et dans la conduite, cette manière aristocratique que rien ne remplace. Élevée à la campagne, au château de Villette, elle y avait pris une sève de plante poussée au grand air. Puis on l’avait envoyée au couvent, dans un de ces chapitres nobles qui étaient le meilleur apprentissage de la vie mondaine. A Neuville, elle avait beaucoup dansé et lu davantage. La hardiesse de la pensée moderne l’avait gagnée ; quand elle rentra chez les siens, elle était acquise aux idées nouvelles et décidée à mettre à leur service son ardeur conquérante. C’étaient aussi bien celles qui défrayaient les conversations d’hommes de lettres et de magistrats, auxquelles elle prenait part chez ses oncles, le conseiller Fréteau et le président Dupaty. Du reste, nullement d’humeur à se perdre dans les vagues rêveries, elle possédait, à un degré rare, le sens de la vie. A beaucoup de raison qui la distinguait de la plupart des femmes de son temps et de tous les temps, elle mêlait une fantaisie toute féminine ; à une élégance d’ancien régime, une indépendance d’allures et une absence de préjugés qui annonçaient la société du lendemain. Tels étaient les élémens riches et variés qu’elle résumait en elle, comme une fleur superbe.

Comment le pauvre Condorcet eût-il résisté ? Lui qui, jadis, avait si tendrement soupiré pour la coquette Meulan, il allait subir un charme autrement capiteux. Il ne chercha d’ailleurs aucunement à s’en défendre, eu fut aussitôt enivré, et succomba de tout son faible cœur.

C’est chez le président Dupaty qu’il avait connu Sophie de