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quand nous fûmes seuls. Il me dit que, dorénavant, nous ne devions plus faire qu’une seule et même personne[1]. »

Malgré ces effusions, il n’en reste pas moins que la désignation du prince de Montbarey était singulièrement fâcheuse. « C’est un homme très borné, d’une naissance très obscure, et sans aucun mérite distingué, » écrit la marquise du Deffand[2]. Telle est bien, en effet, l’opinion courante à la Cour. Celle de l’armée n’est pas plus favorable. Le prince, dans les différens postes où il avait servi, s’était acquis la réputation d’un homme brave, courtois, de manières agréables, doué d’une facilité qui pouvait un moment faire illusion sur ses capacités réelles, mais peu instruit, léger, sans caractère, moins militaire que courtisan, d’ailleurs constamment dominé par le goût du plaisir, bref l’opposé, sur presque tous les points, du comte de Saint-Germain. Ce dernier n’allait guère tarder à être mal récompensé de sa condescendance. Montbarey, en effet, profitait rapidement de sa situation pour se créer, au sein du ministère, un parti personnel, recruté parmi les commis et les chefs de service que choquait, dans leurs vieilles routines, l’inflexible rigueur du comte de Saint-Germain, que froissait sa brusque franchise et que gênait aussi, parfois, son intransigeante probité. Sans faire de l’opposition déclarée, ni censurer ouvertement les décisions de son ministre, le prince laissait percer, dans toutes les occasions, sa défiance ironique et s’attachait les mécontens, bien moins par ses propos que par son attitude. « Je m’aperçus facilement, déclarera-t-il lui-même[3], que je pouvais compter sur eux. »

C’est de la même façon qu’il agissait avec Maurepas. Il avait promptement démêlé les inquiétudes que causaient au vieillard les velléités audacieuses de son ministre de la Guerre. Il en

  1. Montbarey, dans ses Mémoires, attribue ce bienveillant empressement de Saint-Germain à des motifs intéressés : « Je ne fus pas long, dit-il, à m’apercevoir que le ministre, d’un âge déjà avancé et ne tenant à personne à la Cour, où il était aussi étranger que s’il fût arrivé de Chine, avait jugé qu’en m’associant à ses travaux, il allait s’étayer et se former une famille à Versailles, qui s’intéresserait à ses succès et le soutiendrait… Je crois pouvoir assurer que l’idée de se faire, à la Cour, une famille de la mienne fut la cause déterminante qui l’engagea à m’associer à ses travaux. » Il est à peine nécessaire de faire remarquer que le caractère de Saint-Germain et la manière dont il en usa avec Montbarey suffisent à faire tomber cette insinuation tendancieuse, dont le but évident est d’excuser les mauvais procédés du prince envers son protecteur.
  2. Lettre du 4 mars 1770, édition Lescure.
  3. Mémoires de Montbarey.