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veut dire ou insinuer qu’un gouvernement quelconque dans ce pays, un ministère républicain, a pu croire qu’il y avait quelque part, dans le monde, des compensations pour les désastres qui nous ont atteints, on fait injure, et une injure gratuite, à ce gouvernement... Il n’y a pas de compensations pour les désastres que nous avons subis... Si le mot de compensations... a été prononcé dans les délibérations et les tractations du Congrès de Berlin, il faut que vous sachiez bien qu’il n’y a jamais eu de ces compensations auxquelles on a fait allusion, ni offertes, ni sollicitées, ni acceptées, à un titre quelconque[1].


L’orateur explique ce qui s’est passé au Congrès de Berlin, puis il continue :


La vraie question, la question qu’il faut poser, et poser dans des termes clairs, c’est celle-ci : Est-ce que le recueillement qui s’impose aux nations éprouvées par de grands malheurs, doit se résoudre en abdication ?... Je sais que celle théorie existe ; je sais qu’elle est professée par des esprits sincères qui considèrent que la France ne doit avoir désormais qu’une politique exclusivement continentale...

Messieurs, dans l’Europe telle qu’elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux, que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnemens militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d’une population (incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou d’abstention, c’est tout simplement le grand chemin de la décadence. Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent : ce n’est pas « par le rayonnement pacifique des institutions » qu’elles sont grandes, à l’heure qu’il est. Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de celle sorte, pour une grande nation, c’est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième et au quatrième...

Le parti républicain a montré qu’il comprenait bien qu’on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique ou comme la Suisse républicaine ; qu’il faut autre chose à la France ; qu’elle ne peut pas être seulement un pays libre ; qu’elle doit être aussi un grand pays, exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, qu’elle doit répandre cette influence sur le monde, et ‘porter partout où elle peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie.

  1. Discours et opinions de Jules Ferry, tome V, p. 213 (Plon, in-8). Antérieurement, le 31 octobre 1883, à propos du Tonkin, Ferry avait déjà dit : « Cette politique coloniale, il faut qu’elle soit sage, il faut qu’elle soit prudente, qu’elle ne perde jamais de vue l’autre intérêt, le grand intérêt continental qui est la vie même de ce pays. » Ibid., p. 284.