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d’abuser des plus faibles ; mais toute la liberté possible : celle, pour le Français, quelle que soit sa province d’origine, de prendre part aux profits, aux dangers et aux leçons de la mer ; celle pour le pêcheur breton de vivre et d’agir à sa guise sans autre loi que la loi commune ; celle pour l’armateur de puiser son personnel où bon lui semble. Il ne défend pas ses seuls intérêts, mais ceux, en même temps, de la France entière, pour qui une marine marchande est une nécessité de premier ordre.

C’est ce lien naturel des intérêts qu’il faudrait rendre sensible, ce lien que brise le particularisme de l’Inscription maritime. Elle fait des marins une population à part, campée sur les frontières métropolitaines, aux points de soudure de la France avec son empire colonial, comme une race de pillards, prélevant leur dîme sur tous les transports. Au temps des douanes intérieures on a connu de ces péages forcés au profit d’une cité puissante ou d’un clan montagnard intraitable. Il ne convient pas que la loi organise elle-même et perpétue une situation pareille. La liberté des déplacemens et des actes, la mobile orientation des carrières et leur libre accès, forment le correctif nécessaire des groupemens d’intérêts actuellement permis par la loi générale. Depuis que l’association émancipe et arme les collectivités professionnelles, le monopole, ne fût-il que de fait, et la corporation fermée, quand ce ne serait que par des barrières incomplètes, donnent à ces groupes privilégiés une puissance excessive. Il faut opter entre le droit ancien qui réservait à chacun sa part mais fixait son rang, et le droit nouveau qui laisse conquérir l’un et l’autre. L’ordre qui fondait la sécurité de la vie sur la soumission n’est plus ; les forces aujourd’hui, les décisions, mouvantes comme les aspirations individuelles, viennent d’en bas, du fond démocratique. Il faut qu’à ces libres initiatives les responsabilités restent tout entières attachées. Et quand chacun dans le pays peut faire sa vie, nul n’a plus le droit de prendre aux uns pour constituer aux autres un apanage. Loin donc de réserver à une catégorie d’entre nous le domaine flottant du pays, on devrait y attirer par tous les moyens, par toutes les réclames, le plus possible des habitans de l’intérieur. Ce serait travailler à l’unité nationale en même temps que pour la justice.

Quant aux grands intérêts liés à la marine marchande, c’est encore par la liberté et le sens de la solidarité commune qu’on