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première partie du Livre, appelle : la dame aux Violettes. Eut-elle d’ailleurs réellement ce surnom, ou n’est-il ici que par analogie avec la dame aux Camélias ? Un portrait d’Amaury Duval nous la montre à l’époque qui dut être celle de sa plus grande beauté. Il donne en effet l’idée d’une extrême séduction. Le visage encadré de bandeaux noirs est d’un ovale très délicat, les traits réguliers et fins, l’ensemble tout à fait distingué. Je remarque, comme signe caractéristique, la largeur du front, qui a toujours passé pour preuve d’intelligence. Et comment douter qu’une telle femme ait été supérieurement intelligente ? Le regard, très profond, semble suivre un rêve à l’horizon. Et ce rêve, que serait-il sinon la paradoxale merveille d’une telle existence ?

Quand elle arrive à Paris, nous dit-on, s’échappant de la petite maison paternelle où avait gamine son enfance, la future dame aux Violettes a quinze ans : c’est Manon, c’est Musette ou Marguerite Gautier. Repassons à l’époque où, devenue la comtesse de Loynes, elle est riche et titrée. Elle a alors un des salons les plus brillans de Paris. Les savans s’y coudoient avec les boulevardiers et les généraux avec les hommes politiques. Renan y dîne chaque semaine. Et si l’on se demande ce que l’auteur des Origines du Christianisme allait faire là, on peut répondre qu’il y trouvait l’auteur des Origines de la France contemporaine pour lui donner la réplique. Taine était en effet, lui aussi, un familier de la maison. Les historiens, les philosophes, les moralistes s’y rencontraient avec les auteurs dramatiques et les romanciers. C’était une faveur très recherchée d’y être admis. Et ceux qui, priés ailleurs, daignaient ou dédaignaient, sollicitaient ici une invitation.

L’usage veut, aujourd’hui, qu’on gémisse sur la disparition des salons. M. Arthur Meyer n’y manque pas. Pourtant je suis bien assuré que les salons du XIXe siècle auront, eux aussi, leurs panégyristes. Voilà déjà celui de la comtesse de Loynes portraituré.

C’était, à en juger par la liste de ses hôtes, un salon bien pensant. Les conversations, si l’on s’en rapporte au témoignage de l’historiographe qui y fit sa partie, y prenaient volontiers un tour relevé. Sans doute, l’auteur n’a relaté que les plus sérieuses de ces conversations et on y dut échanger des propos plus frivoles. Il n’en reste pas moins curieux que les spécimens qui nous en sont donnés aient tous un certain air de gravité. Pendant un temps, la politique en fut le thème habituel, et on choisissait à table les sujets qui devaient ensuite être traités dans les réunions publiques. Il y a un entretien