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— Bravo ! cher monsieur ; quelle exactitude ! me dit-elle... Mais je le crains, nous partons trop tard ; jamais nous n’arriverons à Capri, avant le lever du jour. Gennaro, mon maître d’équipage, a mal fait ses calculs. Or, toute bêtise mérite une leçon : il la recevra... J’aurais tant voulu vous faire admirer la Grotte d’Émeraude, à la lumière des torches !

Elle avait dépouillé son costume de bergère-Watteau, pour se vêtir en océanide ; sa chevelure tombante était couronnée de coquillages, coiffure de la Sirène au dernier acte de Leucosia, et une sortie de bal cachait la presque nudité du travesti. Je lui pris les mains, puis longuement la contemplai, m’émerveillant à nouveau de cette beauté fatale, de cette inaltérable jeunesse. Quelle eau de Jouvence, quel mirifique secret avait-elle en sa possession pour demeurer ainsi l’Aphrodite ignorant l’outrage des années ? Idole souriante et moqueuse, aussi peu farouche qu’une Vénus-Meretrix, elle se laissa tranquillement regarder, étudier, détailler. Autour de nous les bons camarades formaient un cercle de comparses ; ces messieurs fumant, ces dames se poudrant le visage ; tous et toutes jalousant.

— Je vais d’abord, me dit-elle, vous présenter nos compagnons de voyage Mes amis, ouvrons un ban en l’honneur de l’illustre Blondel !

Une vingtaine de mains m’applaudirent en cadence ; des hurrahs suivirent : la « bacchanale » recommença. Je fis alors connaissance avec d’amusantes figures : le mime Costa, cette âme en peine qui venait de m’ahurir ; Rodolfo, le ténor ; Grossi, la duègne ; Rosina Vivente, l’ingénue, et d’autres étoiles, planètes de plus faible grandeur. Je remarquai, toutefois, qu’aucun des artistes en vedette à San-Carlo ne se trouvait parmi les folâtres personnages de ce Roman Comique.

Rosina, la « vierge » du Bellini, s’empara aussitôt de moi. Elle parlait gentiment français, ayant promené naguère son innocence d’opérette sur maints théâtres de mon pays ; de Lille à Bordeaux, de Nantes à Toulouse. L’ingénue m’adressait des œillades assassines, m’exhibait les blancheurs de ses dents ou la petitesse de sa chaussure, tassait indiscrètement les transparences de ses jupons, parfois même palpitait comme à la fin d’un quatrième acte. Mais j’observais la plus sage retenue : nous n’étions pas encore au moment psychologique d’un dénouement.

« En route ! » La Campofiori me prit le bras, et nous descendîmes