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— Retourne à ton grenier, maniaque, ou sinon, je te fais jeter à mes chiens !

Un transport de fureur indignée agita la minable carcasse de l’oncle Mardochée ; il se redressa, et alors, nabi implorant son Javeh :

— Ah ! c’en est trop !... Esther, Esther, voici mes adieux !... Que le bras de Celui qui châtie les enfans ingrats s’abatte sur tes péchés, maudite ! J’ai trop souffert par toi : qu’il me venge I

Amen !... Je m’en moque !

Elle s’élança sur la passerelle ; Sant’Angiolo vint s’asseoir à côté de cette aimable nièce, lui prit la main, y posa les lèvres, et l’enragée Sirène se calma aussitôt. Diva semblait m’avoir oublié ; je m’installai donc près de Rosine, à l’arrière de la balancelle ; les autres passagers s’établirent autour de la Grossi ; les mariniers levèrent les ancres, larguèrent les amarres, hissèrent les voiles : nous voguions.


XX. — BARQUE ET BARCAROLLES

Une splendeur de nuit, tiède, parfumée, lumineuse ; écrin de velours bleuté, à la parure d’étoiles ! La Voie lactée prolongeait vers l’espace ses laiteuses poussières d’astres en formation, et dans l’immensité du firmament fourmillaient les myriades de mondes, — ces mondes où l’on doit aussi aimer et mourir, puisqu’ils s’attirent entre eux et qu’ils périssent. Une faible brise moirait à peine l’ondulation phosphorescente des flots ; nos voiles clapotaient au long des mâts ; la balancelle n’avançait que lentement, et nos bateliers avaient pris la rame... Non, nous ne pourrions arriver à Capri avant les premières lueurs du jour.

La Grossi, qui s’ennuyait près de ses camarades, attaqua une barcarolle : « Addio, mia bella Napoli. » Ténors et barytons, sopranes et contraltes reprirent en sourdine ; nos mariniers faisaient chorus, et je comparais, non sans dépit, les voix justes, chaudes, bien timbrées, de ces chanteurs, fils du soleil, à l’enrouement vineux de notre populaire lorsqu’il se met en liesse.

— Que pensez-vous de Campofiori ? me demanda la Vivente, ma voisine.

— Artiste remarquable ; une autre Falcon !

— Ses notes de canari me plairaient assez ; mais son jeu,