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Et poussant son dernier éclat de rire, elle cria : « Je t’aime ! »

L’arme aussitôt s’abattit sur la tentatrice.

Étourdie, ensanglantée, elle chancela, puis s’effondra dans les fucus qui recouvraient l’eau dormante...

Durant quelques secondes, soutenue par l’épaisse litière des varechs, Leucosia parut flotter ; ses mains s’accrochèrent à la barque ; mais deux nouveaux coups lui brisèrent les doigts... Un hurlement de détresse..., un blasphème, et la Sirène enfonça ; l’Astaroth disparut.

Alors, répondant à nos clameurs :

— Justice est faite ! annonça l’exorciste... La Grande Prostituée est vaincue.

On ne retrouva jamais le corps de la princesse Campofiori.


La fin tragique de la célèbre prima donna fut pour MM. les gazetiers italiens un heureux prétexte à copie. On publia force portraits de la cantatrice ; les courriéristes lui fabriquèrent maints pompeux panégyriques ; des poètes la pleurèrent en stances ou en sonnets, et un savant homme d’Académie lui consacra un fort beau mémoire. Il démontra qu’Esther-Astaroth n’était qu’un même mot, et qu’il signifiait : Charme du soir, Volupté des nuits, Génisse, Brebis ou Richesse. ces hébraïsans ! Enfin comme tout se termine ici-bas par des chansons, un mauvais plaisant mit en complainte la macabre aventure de la Grotta Verde. Caverna, inferna, sempiterna y rimaient aussi richement que chez Dante, et ce fut la dernière oraison funèbre de Diva, princesse Campofiori.

Mais le procès criminel intenté à Lautrem offrait une magnifique occasion de philosopher. Les journalistes catholiques prirent chaudement le parti du franciscain. Peu tendres pour sa victime, ils flétrirent les débordemens de cette autre Messaline, vitupérèrent l’infâme Esther Mosselman deux fois renégate, déplorèrent la faiblesse de la justice humaine que cette courtisane avait su séduire, louèrent l’acte méritoire de Marcellus, véritable conscience. Est-il licite de tuer pour accomplir une œuvre de salut, voire de| propreté morale ? Oui, certes, et ces