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leur modèle politique ; la France prévoyait les contre-coups d’une réaction sur son chemin de fer du Yunnan et sur sa frontière tonkinoise. D’ailleurs, les assurances formelles du gouvernement républicain provisoire garantissaient les droits acquit par les étrangers en territoire chinois. Il n’y avait donc qu’à laisser Chinois et Mandchous vider leur querelle jusqu’à ce que l’un des deux partis eût triomphé, comme on l’avait fait pendant les révolutions de Turquie et de Portugal.

Quoi qu’il en soit, par le concours des circonstances ou par le résultat de ses calculs machiavéliques, Yuan-Chi-Kaï apparaît actuellement comme l’arbitre de la situation. Dépositaire provisoire des volontés impériales, il peut se dresser comme un obstacle devant la proclamation définitive de la République chinoise, car le nombre est grand de ceux qui le soupçonnent d’avoir uniquement travaillé pour lui. Mais, à propos de l’ère nouvelle qui s’ouvre pour la Chine, il serait vain de prophétiser. Comme au temps de Catherine de Médicis, les hommes et les partis qui vont disputer la suprématie politique s’apercevront qu’il est moins difficile de tailler que de recoudre.

En prévision d’une lutte qui peut être longue, et dont l’intervention inévitable des fanatiques et des bandits modifiera dans plusieurs régions la nature et les conséquences, les puissances européennes ont dû prendre des mesures de sûreté. Elles ont renforcé les gardes des Légations, occupé dès le 7 janvier le chemin de fer de Pékin à la mer. Le Japon sur son territoire, l’Allemagne à Tsing-Tao, les Etats-Unis aux Philippines, l’Angleterre à Hong-Kong, la France au Tonkin, tenaient d’ailleurs, bien avant cette date, des troupes toutes prêtes pour les jeter en Chine sans retard, à la première alerte. L’opinion des meneurs populaires, à l’égard des étrangers, paraît bien modifiée depuis le soulèvement boxer ; mais on peut s’attendre à voir le parti vaincu chercher dans quelque « Commune » gigantesque une consolation à sa défaite, et la haine atavique des Chinois contre les « diables occidentaux » se manifester plus violente et plus sanguinaire encore qu’en 1900. D’autre part, les vainqueurs seront eux-mêmes tellement affaiblis par leur victoire qu’ils auront besoin de collaborateurs étrangers, plus ou moins généreux, pour les aider à rétablir l’ordre dans l’Etat désorganisé.


PIERRE KHORAT.