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Quelle douceur et quel charme ! De tous les lacs de Lombardie, — car bien qu’il soit en territoire piémontais, on peut le ranger dans le groupe des lacs lombards, — je me demande si ce n’est pas le plus parfait. Moins sauvage que celui de Lugano, moins voluptueux que le Lario, moins grandiose que le Majeur, il a plus d’harmonie générale que chacun d’eux. Tout y a les proportions qu’il faut : pas une note discordante. Les collines boisées qui l’entourent s’infléchissent suivant les courbes qui s’adaptent le mieux aux sinuosités des rives ; vraiment la même main n’a pas dessiné ces lignes souples et le dur profil des montagnes qui semblent enclore et rejeter en un autre monde la rude Germanie. Son île de San Giulio résume en elle les beautés diverses des Borromées. La pointe d’Orta a presque autant de grâce que le promontoire de Bellagio. Et le lac a conservé ce que possèdent de moins en moins ses rivaux trop illustres, peu à peu envahis, transformés, enlaidis par la civilisation : le calme de la nature. On peut écouter pendant des heures le clapotis de l’eau sans entendre les trépidations des moteurs ; un seul petit bateau suffit au service des ports. Rares sont les automobiles qui s’égarent jusque sur le quai d’Orta tout à fait en dehors de la grand’route. C’est un des derniers coins d’Italie où le modernisme et le progrès n’ont encore rien gâté. Mais hâtons-nous d’en jouir. Les riverains veulent attirer les touristes ; ils forment des comités d’initiative ; ils ont assez d’en- tendre appeler leur lac cenerentola (cendrillon) parce qu’il reste oublié à côté de ses grands aînés. Avant qu’ils ne réussissent, goûtons la quiétude de ces bords qui bientôt ne connaîtront plus la tranquille langueur des journées d’automne.

Actuellement, Orta est l’idéal refuge des rêveurs et des vrais amans. Asile de paix, tout y incline à la tendresse, sans cette perpétuelle invitation au plaisir qui rend le lac de Côme si précieux à ceux qui cherchent l’illusion de l’amour. Ici, loin de la foule, on n’éprouve pas, comme aux rives de Bellagio ou de Cadenabbia, cette sorte de fascination extérieure et de dispersion de soi qui rend à demi inconscient et donne comme une légère ivresse. Mais on y vit ces journées qui paraissent vides, où il ne se passe rien, et qui, plus tard, sembleront si belles parce qu’elles furent faites de bonheur. On s’accoutume si vite au bonheur, comme à la santé, qu’on ne songe pas à le remarquer. Plus l’air que nous respirons en est saturé, plus nous croyons