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pauvreté. J’éprouverais de cuisans remords à voir sombrer votre génie dans le tracas, les soucis, les vulgarités, les querelles d’un ménage d’indigence : votre femme courant le cachet sous le soleil, la pluie ou la neige ; rentrant au logis, irritée ; se plaignant de son labeur, de sa fatigue ; prenant vos rêveries en haine, et vous, cherchant en vain l’inspiration qui aura fui. La gloire, cher grand artiste, doit être votre seule épouse : moi chétive, je me sacrifie...

« Ne me maudissez pas. La passion qui nous fit délirer l’un et l’autre fut toujours noble et chaste : que son pur souvenir reste la consolation de notre douleur !... Et cependant, Marcel, rappelez-vous ! Rappelez-vous cette soirée de septembre où je faillis m’abandonner à votre désir. Assise au piano, je chantais l’Adieu de Schubert, cette mélodie d’où se dégagent de si poignantes tristesses ; la romance tant aimée de nos pères, aux temps où l’on savait aimer :


Adieu, jusqu’à l’aurore
Du jour en qui j’ai foi...


« Et soudain, éperdu, vous m’avez enlacé la taille, puis avez posé sur mes lèvres la brûlure de votre baiser. Frissonnante, je tombai dans vos bras : je voulais être à vous, à toi, Marcel,... toute, toute ! Mais tu m’as respectée,... et maintenant je bénis, monsieur, les délicatesses de votre honneur...

« Oh ! cet Adieu de Schubert, le cri de l’espérance ! Il chante encore, toujours il chantera dans ma mémoire...

« Au nom de votre unique baiser, monsieur, en souvenir de ma seule faiblesse, daignerez-vous exaucer une prière ? La pensée, affirment nos savans, peut, traversant l’espace, s’unir au loin à une autre pensée... Eh bien ! plus tard, quand l’image de votre misérable Esther n’évoquera plus chez vous souffrances ni rancœurs, — le soir, dans votre chambre, mettez-vous parfois au piano pour moduler les accords de mon mélancolique Adieu. Partout où je serai, votre voix parviendra jusqu’à moi ; votre pensée rejoindra ma pensée, et alors,... oh ! alors, je saurai que je suis pardonnée.

« ESTHER MOSSELMAN, DÉSORMAIS DIVA. »


Cette répugnante parodie du Rappelle-toi de Musset m’indigna. Quelle audace à une pareille drôlesse de parler ainsi