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leur est dû, et ils ont émis la prétention de rogner la part de la minorité au profit de la majorité qui, sur cette part normale et légitime, prélèverait et conserverait pour elle une prime. Cette prime serait prise sur les sièges non attribués par le scrutin ; la majorité aurait sur eux un droit privilégié. Quel serait au juste ce droit ? Comment s’exercerait-il ? Dans quelles proportions ? Dans quelles conditions ? On était dans le domaine de l’arbitraire, les solutions pouvaient donc beaucoup varier du plus au moins, et c’est ce qui est arrivé. Pour compliquer encore l’affaire, on a inventé l’apparentement, que la Chambre a repoussé à une grande majorité, mais auquel la Commission n’a pas renoncé à revenir et que M. Jaurès, à bonne intention d’ailleurs, a proposé de compliquer encore un peu plus en l’étendant à plusieurs départemens, à une région. On a eu alors l’apparentement intra-départemental et l’apparentement inter-départemental qu’on peut pratiquer séparément ou cumulativement. C’est à s’y perdre. Chaque jour a vu naître un nouveau système : le choix entre eux est difficile. Il y en a cependant de moins mauvais que d’autres, mais comment les distinguer avec certitude ? Cruelle énigme !

À ces complications déjà si grandes viennent s’en joindre encore de nouvelles, qui résultent des votes que les radicaux-socialistes émettent tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, avec la seule intention de créer une situation inextricable et d’y étouffer la réforme. Leur but est de procréer un monstre qui ne sera pas viable, et que le Sénat laissera effectivement mourir de sa belle mort. Ils étaient toutefois un peu gênés, du moins jusqu’ici, par la fermeté qu’ils sentaient ou croyaient sentir chez le gouvernement. Une de leurs délégations étant allée trouver M. Poincaré, un de ses membres les plus représentatifs, M. Breton, a invoqué l’intérêt supérieur de la République ; à quoi M. Poincaré a répliqué avec quelque irrévérence : « Mais, monsieur Breton, vous n’êtes pas la République. » Parole très remarquable et qui a été très remarquée ; M. Breton en a été tout abasourdi. Le jour où il ne sera plus la République, beaucoup de choses seront changées en France : mais serait-il vrai qu’il ne le fût plus ? Il a persisté à n’en rien croire et l’événement lui a donné raison. Sur ces entrefaites, en effet, M. Poincaré a été appelé devant la Commission de la réforme, afin de dire décidément quel système avait sa préférence. Il était sans doute un peu fatigué, un peu énervé, un peu irrité même ; quoi qu’il en soit, lorsqu’il a eu parlé M. Breton était redevenu la République, ce dont ses amis et lui se sont empressés de remercier avec emphase et de féliciter M. le président