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de pourvoir tout de suite les paroisses vacantes, par un accord avec le Pape : quant aux questions de principe, il jugeait toujours qu’à ce sujet aucune entente n’était réalisable. Il jetait enfin dans la conversation le nom d’un prélat qui, d’après lui, pouvait être un bon intermédiaire, et qu’on lui dépeignait comme un homme de doigté : c’était Hefele, évêque de Rottenburg, l’illustre historien des conciles. Le Wurtemberg était le seul pays d’Allemagne qui eût échappé à la guerre religieuse : l’évêque de Wurtemberg pourrait peut-être rendre la paix religieuse au reste de l’Allemagne.

Mais Hefele, en 1879, ne fut rien de plus qu’un consulteur. Le véritable négociateur allait être, pour la seconde fois, Bismarck lui-même. Il avait à Gastein, dans la première quinzaine de septembre, un long rendez-vous politique avec le comte Andrassy, d’où l’alliance des deux empires devait définitivement sortir ; il attendit, dans cette même villégiature, un représentant de Rome. Le choix du Pape s’arrêta sur Jacobini qui, dans le cours de l’année, avait déjà pris langue, à Vienne même, avec l’ambassadeur Stolberg. Bismarck mit ses informateurs en éveil, pour que l’arrivée du prélat lui fût immédiatement signalée : il avait l’intention de le surprendre chez lui, au débotté, pour l’inviter à dîner. Il voulait, quelques jours durant, ne s’occuper que des choses d’Église. Il apprêta son personnage et mit ses propos en train, en faisant venir, pour causer durant une bonne heure, un camérier du Pape, aumônier d’un lycée de Paris, qui se trouvait alors à Gastein dans la famille du comte Appony. Mgr Vallet, — c’était le nom de ce prêtre, — se rendit à l’appel, et le chancelier fut tout de suite prolixe. Annoncer, sur un ton de demi-confidence, l’alliance de l’Autriche avec la Prusse faisait plaisir à Bismarck : il trouvait une volupté de vainqueur à montrera ce Français, qui n’oubliait pas Sedan, qu’on avait apparemment, à Vienne, oublié Sadowa. Il affectait de songer à une guerre contre la Russie ; il se targuait d’avoir, éventuellement, l’alliance de l’Angleterre. Puis il parla contre le socialisme ; et comme le prêtre alléguait que le Culturkampf faisait les affaires du socialisme, Bismarck, se redressant sur son canapé, lui dit en martelant ses mots : « Ceci est la question de l’Eglise et de l’Etat. Comme homme politique, je hais l’Église, et comme homme politique je la connais bien. Son influence a été très mauvaise au moyen âge : elle a retardé la civilisation. »