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avec l’école, l’intelligence de leur rejeton demeure inculte ; il s’abêtit d’année en année ; déjà l’on sent qu’il sera, sans plus, l’image de son père, avec plus de ruse peut-être, et assurément moins de déférence pour les patrons.

Mais quelle est cette jeune personne, entoilettée, dès cette heure matinale, d’un costume de laine bleu clair, enchapeautée de paille et de plumes, qui apparaît sur le seuil de l’habitation fermière ? Ma parole ! c’est Eugénie Martin, la fille aînée. Sa robuste académie de dix-huit ans fait craquer le « tailleur » trop ajusté ; sa ronde figure, sous le chapeau, semble un brugnon coiffé… La voilà qui vient à nous, fort à l’aise : elle est bien de la nouvelle couvée, elle aussi… Bonjour, mademoiselle Eugénie… Vous êtes donc en vacances ?… Oui… Le notaire de Bourges chez qui vous êtes bonne-à-tout-faire vous a libérée pour trois jours… Ah ! vous allez quitter votre place ?… Est-ce donc que le notaire et sa famille vous traitaient mal ?… Non ? C’est du bien bon monde, mais on ne gagne pas assez… Vous voulez aller à Paris, mademoiselle Eugénie ? Et vous me demandez si je ne connaîtrais pas, tout justement, une place de femme de chambre dans une grande maison ?… Non, mademoiselle Eugénie, je ne connais aucune place de femme de chambre dans une grande maison parisienne. Je vous le dis en toute vérité ; mais ce que je ne vous dis pas, c’est que si j’en connaissais une, je me garderais de vous l’indiquer, et que, si j’étais votre père, je vous interdirais d’aller à Paris : car dans vos petits yeux bleus, pétillans de curiosité, dans l’impatience de votre voix, dans je ne sais quelle hardiesse provocante de manières, je lis votre avenir parisien. Et sachant ce que Paris fera de vous, je ne cabalerai point pour vous aider à quitter les champs…

Mes pupilles et moi, nous avons vite laissé Eugénie, qui ne nous apprenait rien d’intéressant et qui méprise la ferme… En revanche, nous avons causé longuement avec Catherine, qui nous a montré en grand mystère une dinde couvant des œufs de poule, et aussi une couveuse artificielle, récemment acquise. Ce double moyen d’éclosion excita chez Pierre et Simone un intérêt passionné ; il me fallut leur expliquer en gros le système du thermosiphon qui maintient autour des œufs une température constante. Le premier coup de cloche, annonçant le déjeuner, nous surprit encore auprès de la couveuse. Heureusement