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en plus désabusé. « J’étais à quatorze ans, nous dit-il, un enfant doux et pieux, mais résolument jacobin et terroriste. » Plus tard, il nous dira bien de la Révolution qu’elle est une « œuvre bonne, » mais il ajoute qu’ » il est trop tard du reste pour en douter, » ce qui n’implique pas une foi bien fervente. Et s’il nous confie qu’il a « toujours été aussi anti-boulangiste que possible, » il a, en revanche, sur « nos politiciens, » « race médiocre, vaniteuse et déplaisante, » sur « les beautés de notre régime parlementaire, » sur la politique, « la vraie maladie d’à présent, » car « elle envahit tout, elle attriste tout, elle est en train de gâter le génie de notre race, » des mots qui eussent semblé singulièrement hétérodoxes dans les couloirs de ce qu’il appelle irrévérencieusement « les Folies-Bourbon. » Nul doute qu’il ne se soit peint lui-même dans les traits de l’» ami » qu’il met en scène, dès 1885, dans un article qu’il n’a pas recueilli en volume, et sur lequel nous reviendrons : cet ami « qui n’est ni impérialiste, ni royaliste, mais qui est tout de même un peu réactionnaire et pessimiste à sa façon » est déjà d’avis que « la République a fait banqueroute à bien des espérances, » et il développe copieusement cette thèse. L’article n’a pas dû beaucoup plaire dans le monde officiel.

Il serait, ce me semble, un peu prématuré d’interroger dès maintenant avec quelque détail M. Jules Lemaître sur son credo métaphysique, religieux et moral. Non pas, certes, que la matière soit peu abondante ; mais, sauf dans le cas d’une crise intérieure, c’est par son œuvre tout entière qu’un écrivain répond à ces sortes de questions, bien plutôt que par telle portion particulière de son œuvre ; et il nous reste, en plus d’un genre, plus d’un ouvrage de l’auteur des Contemporains à examiner, avant de lui demander ses conclusions générales. Contentons-nous donc, pour l’instant, et d’après son œuvre critique, de noter brièvement les quelques traits qui caractérisent sa conception de la vie. Détaché du dogme chrétien, non pas peut-être pour des raisons extrêmement fortes, — les dernières pages de l’étude sur Veuillot, qui ne sont pas d’un grand théologien, ne sont pas non plus d’un bien profond philosophe, — M. Lemaître n’est pas détaché du christianisme, et il en a vivement « senti la douceur secrète et subi le sortilège intérieur. » Et il est bien moins encore détaché de la morale chrétienne qui, presque toujours, et sans qu’il le dise, lui inspire ses jugemens