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pièce fût un chef-d’œuvre. Mais c’est une très bonne comédie.

Et il en est ainsi de presque tout le théâtre de M. Lemaître. Si des pièces qu’il nous a déjà données, aucune peut-être ne marque dans notre littérature dramatique une date aussi importante que la Dame aux Camélias ou que le Gendre de M. Poirier, aucune n’est indifférente, et presque toutes ont des parties de chef-d’œuvre. Aucune d’elles à la scène n’a eu de ces succès bruyans que tel autre de nos contemporains a connus, et que d’ailleurs elles ne cherchaient pas, n’étant point faites pour le gros public, mais bien plutôt pour le public, toujours un peu restreint, des délicats, ou, comme l’on disait jadis, des « honnêtes gens. » Mais ce qu’elles perdent peut-être « aux chandelles, » et de par leurs qualités au moins autant que par leurs défauts, comme elles le regagnent, — et amplement, — à la lecture ! Pour les lecteurs à qui le théâtre de Racine a procuré leurs plus vives jouissances, il n’y a pas, depuis vingt ans, de « spectacle dans un fauteuil » qui vaille ceux que leur offre M. Lemaître.

Et je ne veux pas, certes, insinuer par là que le théâtre de l’auteur de l’Aînée soit dépourvu de toute valeur proprement dramatique. Quand parut Révoltée, « le prieur du bon sens » déclara que la pièce était « d’une singulière inexpérience et d’une rare maladresse ; » mais Sarcey « voyait gros » là, comme en toutes choses, et, — il est vrai que je n’ai pas vu jouer Révoltée, — j’en croirais beaucoup plus Brunetière ou M. Faguet qui, jugeant l’œuvre eux aussi au point de vue du théâtre, se sont montrés beaucoup moins sévères. D’une manière générale, si le métier dramatique, chez M. Jules Lemaître, a ses imperfections et ses lacunes, ou, bien plutôt encore, ses indolences et ses négligences, parfois un peu volontaires, il est très loin d’être dénué des qualités, même extérieures, qui assurent d’ordinaire le succès : l’ingéniosité de l’intrigue, le mouvement, la rapidité du dialogue, l’art de traiter les situations fortes avec franchise et vigueur, et cette vis comica ou tragica à laquelle les anciens ramenaient presque toute la « poétique » théâtrale. N’est-ce point là presque l’essentiel ? Sans doute il serait bon que le dramaturge fût un peu moins dédaigneux ou insoucieux de l’art si utile des « préparations ; » et si l’on ne peut demander aux pièces de M. Lemaître d’avoir ce quelque chose de rectiligne et de géométrique qu’ont les pièces de M. Paul Hervieu, on pourrait leur souhaiter une composition plus vigoureuse, plus décidée,