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qu’il leur a attribué, il en vient nécessairement à se demander s’ils ont bien ou mal agi, si la manière dont ils ont pratiquement résolu le cas de conscience qui se posait à eux est bien la meilleure possible. Sa solution ou sa réponse personnelle, il réussit toujours, par mille moyens indirects, à nous la laisser entendre. Nous ne risquons guère de nous tromper en ce qui concerne le jugement moral que M. Lemaître porte sur ses personnages et sur leurs aventures. Et ce jugement est généralement très sain, marqué au coin d’un bon sens très ferme, d’une délicatesse très avisée, d’une réelle élévation de pensée et de sentiment. L’auteur de l’Aînée n’est pas tendre aux pharisiens, — le ménage Pétermann en sait quelque chose ; mais il est assez indulgent à ceux qui paient leur tribut à la faiblesse humaine, s’ils souffrent de leurs fautes, s’ils s’en repentent et les expient, s’ils savent se préserver de la perversité du cœur et de l’esprit, et si enfin le sentiment de leur fragilité personnelle les incline à plus d’humilité, de charité et de bonté : il est bien évident que ni Mme de Voves, ni Chambray, ni Marèze, ni les douloureux héros du Pardon n’ont en M. Jules Lemaître un juge impitoyable. Il réserve toute sa sévérité, toute son ironie méprisante pour ceux que l’on pourrait appeler les frelons de la ruche sociale, pour ceux que la frivolité de leur vie, la férocité de leur égoïsme, la corruption de leur âme prédestinent à être de terribles gâcheurs d’existence et de bonheur : Hélène Rousseau, Brétigny, la marquise de Grèges, Vaneuse, Montaille, Yoyo, Mauferrand. S’il les relève un peu parfois tout à la fin de la pièce, c’est par scrupule de moraliste qui sait que les monstruosités sont rares, et rare aussi l’ignominie absolue. Mais toute sa sympathie, toute son estime, toute son admiration vont spontanément aux natures droites et simples, élevées et généreuses, capables de dévouement et de sacrifice, et pour lesquelles l’honneur et le devoir ne sont pas de vains mots : Pierre Rousseau, André de Voves, Mme Leveau, Lia, Bertrade, Juliette Dupuy ; il leur passe tout ce qu’il entre parfois, — et il le sait bien, et il l’indique, — d’inexpérience et de naïveté dans l’intransigeance de leurs fiertés. Bref, il est avec ces braves gens de tout son cœur ; et ce libre hommage à la vertu sous la plume de l’un des esprits les moins dupes qu’il y ait au monde n’est pas l’un des moins significatifs qu’on lui ait rendus.

On voit peut-être maintenant quelle conception de la vie