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Au point de vue de la langue, leur idéal est la netteté. « On écrit pour se faire entendre. » Leur langue aurait donc quelque tendance au langage abstrait, n’était qu’ils sont très bien avertis que la langue abstraite est une autre manière de langue obscure, et c’est seulement chez leurs successeurs, par une pente naturelle et une naturelle dégénérescence, que la langue deviendra abstraite. Chez eux, elle se tient à un goût assez vif pour le rigoureux, le très précis, le lumineusement condensé, bref, pour la maxime. Elle se défie un peu de l’image, de la métaphore » et, pour eux, il ne faut qu’un peu de redondance et de multiplicité d’images pour qu’ils crient au phébus ; c’est le, propre sens de ce mot.

Au point de vue de la versification, les classiques sont très divers. Il y en a qui sont musiciens, comme Malherbe et La Fontaine, qui ont le sentiment juste et très fin des sonorités expressives et des rythmes expressifs, de l’expression musicale en un mot ; il y en a comme Racine et Molière qui l’ont un peu moins, ou qui y tiennent moins, quoique très experts encore en cet art et surtout ne se trompant point, ne faisant pas de contresens rythmique ; il y en a enfin comme Boileau qui ne sont pas musiciens du tout et évidemment ne se doutent pas de ce que c’est que l’expression musicale, tels enfin qu’ils devraient écrire en prose et que le vers n’est pour eux qu’un moyen de frapper la maxime et de l’arrêter sous un coin net, précis et connu, pour qu’elle se grave plus fortement dans la pensée et dans la mémoire. Tout compte fait, les classiques, tout au moins ne se laissent pas envahir par la musique et ne cèdent que peu à ses attraits et à sa séduction ; et, quoiqu’ils soient encore très loin du singulier idéal que je vais dire, on comprend assez bien que leurs successeurs du XVIIIe siècle aient pu assurer que les beaux vers sont ceux qui sont beaux comme de la belle prose.

Voilà le classicisme en ses traits généraux. Le romantisme est certainement une réaction contre le néo-classicisme et le pseudo-classicisme, certainement ; mais il est bien une réaction contre le classicisme lui-même. Il est, d’après une de mes définitions, que M. Pellissier veut bien rappeler pour la réfuter, « l’horreur de la réalité ; » mais il est même, en une certaine mesure, l’aversion à l’égard du vrai. En effet. Il est, personne ici ne sera en désaccord avec moi, la prédominance de la sensibilité