Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a adopté telle tactique dans une bataille, il est à supposer qu’il a eu raison de le faire, qu’on ne pouvait pas agir autrement et mieux, et il ne faut se risquer à le critiquer qu’avec prudence. Les décisions stratégiques peuvent être examinées, discutées en pleine connaissance de cause, car elles sont constatées matériellement par des documens irréfragables, ordres du jour, télégrammes, lettres, dépêches. Au contraire, aucune certitude de ce genre n’est possible dans l’appréciation des mouvemens tactiques : on ne connaît jamais qu’approximativement les évolutions d’une mêlée ; les heures sont plus ou moins problématiques ; les officiers qui donnent et reçoivent des coups ne s’arrêtent pas pour tirer leur montre et noter l’heure sur un carnet ; ils s’en rapportent à leurs souvenirs, souvent confus, et sur les points principaux les témoignages sont contradictoires : celui qui agit dans le coin d’une bataille ne la voit jamais ce qu’elle fut en réalité. Fût-on d’accord, est-on davantage en mesure de se prononcer ? Tel parti a mal tourné, êtes-vous certain que le parti contraire n’eût pas produit des effets pires ?

Il est généralement admis qu’au lieu de s’obstiner à alimenter le combat avec le centre, Mac Mahon aurait dû le ralentir et rejeter ses forces sur sa droite contre le mouvement tournant de Bose. L’eût-il tenté, est-il certain que Kirchbach ne lui aurait pas fait immédiatement payer, en le mordant au talon, l’imprudence de se dégarnir à son centre et qu’il n’eût pas été pris entre Bose et Kirchbach avant que Raoult et Ducrot, occupés avec les Bavarois, pussent venir à temps le dégager ? La tactique adoptée par Mac Mahon, de lutter, par des attaques sur le centre, contre le mouvement enveloppant sur sa droite, loin de prouver son ignorance de la grande guerre, est une preuve qu’il en connaissait bien les règles. En effet, on peut arrêter un mouvement enveloppant en le perçant, sur un point quelconque de sa circonférence et en le prenant à revers aussi bien qu’en le brisant à son extrémité. Si Kirchbach avait été rejeté au delà de la Sauer par l’attaque persistante de Mac Mahon, il eût bien fallu que Bose, menacé à son tour d’être enveloppé et enlevé, se décidât à s’arrêter, puis à rétrograder.

Mais, dans cet ordre d’idées, Mac Mahon aurait dû poursuivre son attaque de front plus énergiquement en envoyant, dès le premier moment, toutes ses réserves au secours de Raoult et Conseil-Dumesnil. Il ne le fit point parce qu’il avait l’esprit