Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/832

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils représentaient, ils ont pu croire, et ils ont cru avec une sincérité passionnée, avec une ardeur angoissée, que la « patrie française » était menacée jusque dans son fondement même ; et ils se sont unis pour la défendre...

Eh quoi ! — n’a-t-on pas manqué de dire, — ce mandarin, ce boulevardier, ce dilettante, ce sceptique, du jour au lendemain se transformer non seulement en homme d’action, mais en chef de parti ! Quelle surprise imprévue ! Quelle conversion soudaine !... C’est qu’on l’avait mal lu, sans doute, ou tout au moins qu’on ne l’avait pas suivi d’assez près. Ce mandarin tenait si peu à ses boutons de cristal ! Ce lettré avait si souvent affiché son mépris pour la pure littérature ! Ce boulevardier s’était si fréquemment révélé un délicieux provincial, un « paysan tourangeau ! » Ce dilettante avait, à tant de reprises, trahi sa secrète inquiétude ! Ce sceptique enfin souffrait si visiblement parfois du scepticisme qu’il affectait ! « Ceux qui essayent comme moi d’entrer partout, disait-il un jour, c’est souvent qu’ils n’ont pas de maison à eux ; et il faut les plaindre ! » Et plus tard, quand il eut pris parti : « J’ai des amis que mon zèle patriotique fait sourire et étonne. C’est qu’ils s’étaient trompés sur moi ; c’est que je n’ai jamais été qu’un sceptique de province, comme l’a si gentiment dit un de mes confrères les plus parisiens... C’est le devoir présent que j’embrasse. Ou plutôt, désenchanté des jeux de la littérature, je m’abandonne avec foi à un instinct que je sens sacré et bienfaisant, et je n’ai pas honte de l’ingénuité de mes chagrins. »

Et à ceux qui lui reprochaient d’avoir changé de camp politique, il aurait pu répondre en leur mettant sous les yeux un article daté de 1885, et qu’il n’a pas réuni en volume, et qu’on pouvait, sauf le ton, croire écrit d’hier. Il est vrai que les idées qu’il y exprimait, il n’osait les prendre entièrement à son compte ; « il n’en garantissait ni la justesse, ni surtout la justice. » Il les plaçait dans la bouche d’un de ses amis : mais on sait de reste quels sont les « amis » de M. Jules Lemaître. Voici donc les propos qu’il prêtait à ce complaisant « sosie : »


La République a fail banqueroute à bien des espérances. Elle n’a pu les réaliser par sa vertu propre. Le suffrage universel a porté d’assez mauvais fruits. Nombre d’hommes distingués ont été écartés de la politique ou s’en sont détournés parce qu’où n’y entre guère qu’à des conditions quelque peu humiliantes. La proportion des hommes médiocres, intéressés,