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présenter comme distinguées (car de les lui recommander comme vraies, cela ne servirait guère) certaines façons de sentir et de juger, qui impliquent le respect de l’énergie, l’estime de l’activité, de l’effort individuel, de l’esprit d’entreprise, de tout travail auquel un peu de risque et d’aventure ne fait pas peur. » Et il se tenait généreusement parole. Il prêchait le retour à la vie simple, utile et féconde, il prêchait « le bon déracinement, » à savoir la colonisation, il prêchait la lutte contre la dépopulation et l’alcoolisme, il prêchait le patriotisme et le culte de l’armée ; il dénonçait la superstition du fonctionnarisme, du baccalauréat, des professions dites libérales ; il osait déclarer qu’ » il faudrait honorer très sincèrement l’industrie, le commerce et l’agriculture (ne souriez pas, — ajoutait-il, — de cette phrase de concours régional), » et cet humaniste partait bravement en guerre contre l’enseignement classique, et contre le préjugé du latin, pour l’enseignement moderne ; en un mot, par tous les moyens en son pouvoir, il essayait de combattre ce qu’il appelait, — oh ! le vilain mot, et combien injuste ! et que je ne l’aime guère sous la plume d’un des nôtres, car l’étranger est toujours là, qui écoute aux portes ! — « la décadence française. » Il y avait d’ailleurs, dans toutes ces idées, parmi des exagérations inévitables, — ne parlons même pas de la générosité, — beaucoup d’ « esprit de finesse » et un très ferme bon sens. Et ces prédications n’ont pas été perdues : on en retrouverait la trace, aisément reconnaissable, dans certaines dispositions intellectuelles ou morales de la jeunesse contemporaine, et, comme chacun sait, jusque dans les « programmes de 1902..)

À cette simple campagne de presse allait en succéder une, non pas peut-être plus efficace dans ses résultats, mais plus active et moins strictement « académique. » L’homme d’action, chez M. Jules Lemaître, tendait à se compléter, à s’achever : la création de la Ligue de la Patrie française lui en fournit à la fois l’occasion et les moyens. Je n’ai pas à rappeler ici toutes les étapes de cette campagne « nationaliste, » les multiples conférences à Paris, à Orléans, à Grenoble, à Lyon, à Toulouse, à Nancy, à Marseille, à Rouen, à Lille, à Bordeaux, à Belfort, à Reims, à Nîmes, à Annecy, à Saint-Claude, à Lons-le-Saunier. Campagne qui ne fut pas toujours sans dangers pour l’orateur, car il semble bien que les « apaches de gouvernement »