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oratoire ; je le dis parce que cela est ; je ne puis vous apporter que ce que j’ai : un grand désir de comprendre et le goût de n garder dans l’intérieur des âmes... (Temps du 13 janvier 1907).


Oui, c’est bien cela ; ce sont bien là les dons qu’il déploie quand il ne se laisse pas entraîner par le besoin d’illustrer et de faire triompher certaines thèses ou certaines préoccupations un peu étrangères à son objet essentiel. Ces préoccupations d’ailleurs, avec la parfaite sincérité qui est l’un de ses plus grands charmes, le conférencier ne nous les laisse pas ignorer. « Lorsque, nous dira-t-il par exemple, lorsque je choisis pour sujet de ce cours Jean-Jacques Rousseau, ce ne fut point d’abord dans une pensée d’extrême bienveillance pour le citoyen de Genève. » Il se proposait « d’étudier surtout en lui le père de quelques-unes des plus fortes erreurs du XVIIIe et du XIXe siècle, » et il chercha donc tout d’abord dans ses lectures « des raisons de le condamner. » Il semblerait que le livre ainsi conçu et commencé dût être singulièrement partial et injuste ; et c’est bien ainsi qu’on l’a pris de divers côtés. Mais n’est-ce point là une interprétation hâtive et erronée ? Si j’avais, pour ma part, à parler longuement de Rousseau, ce serait beaucoup plutôt à la manière de M. Faguet dans son Dix-huitième siècle qu’à celle de M. Lemaître ; mais je ne puis voir, comme on l’a fait, dans le livre de ce dernier, un pur et simple pamphlet. Il a relevé sans indulgence, et même parfois avec un peu d’âpreté, les faiblesses, les contradictions, les sophismes de Jean-Jacques ; mais il a fait un réel, et souvent assez heureux effort pour le comprendre et pour lui rendre justice. Au total, il a, comme il convient, pour son héros plus de pitié que de colère, et, quand il ne nous l’avouerait pas, on sentirait, à le lire, qu’au cours de son étude, ses sentimens se sont modifiés dans le sens d’une équité moins stricte, plus généreuse, plus émue. Les dernières lignes de son livre nous rendent bien cet état d’esprit assez complexe, mais d’où la sympathie critique n’est point absente :


Mais on l’a aimé. Et beaucoup l’aiment encore ; les uns parce qu’il est un maître d’illusion et un apôtre de l’ absurde ; les autres, parce qu’il fut, entre les écrivains illustres, une créature de nerfs, de faiblesse, de passion, de péché, de douleur et de rêve. Et moi-même, après cette longue fréquentation dont j’ai tiré plus d’un plaisir, je veux le quitter sans haine pour sa personne, — avec la plus vive réprobation pour quelques-unes de