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paremens gros vert du régiment de Caraman, où l’habit bleu à plastron rouge, bordé d’argent, des carabiniers. Beaucoup furent tués dans la campagne et ne vivent plus, aujourd’hui, que par les crayons où Carmontelle les a campés de profil, coquets, pinces, fringans, musqués, jabotés de dentelles, le tricorne sous le bras gauche, une haute canne à la main droite, impertinens et parlans portraits de ces soldats de l’ancien régime qui allaient bientôt disparaître pour jamais.

Bien plus, le diable au corps avait découvert des actrices. Évidemment, les pauvres donzelles auraient fait piètre figure à côté de Mlle Clairon ou de la Dumesnil. Elles massacraient le français, et leur débit eût déchaîné des tumultes à la Comédie ; mais, à la guerre comme à la guerre, on n’était pas en posture de se montrer difficile et les « trois nymphes garnisonnières, » une dame Reysfeltz, veuve étoffée, à la quarantaine agréable, sa fille Anna, toute mignonne et délurée, la gouvernante de la jeune personne. Mlle Rousselet, auxquelles vint s’adjoindre une marchande de modes, Mlle Sommerwaltz, remportaient les plus flatteurs succès et même quelque chose de plus. Lédans, toujours caustique, le constate sans ambages : « Ces dames n’étaient pas sans attrait pour nos braves dragons. Les plus délicats pouvaient très bien, à vue de pays, s’embrigader avec la veuve Reysfeltz. Il (Carmontelle) m’en a souvent parlé, de manière à me faire croire que plus d’un de ces messieurs de la troupe dorée l’avaient trouvée de très bonne robe et que les deux autres paquets d’antichambre ne savaient auquel entendre parmi la dragonaille du second ordre. »

Ainsi coulait le temps dans la bienheureuse cité de Wesel et, nul doute qu’à la paix conclue, dix-huit mois plus tard, les complaisantes Allemandes durent bien des fois regretter ces polissons de Français.

Les heures d’héroïsme étaient passées pour Carmontelle. Aussitôt revenu à Paris, M. de Pons, usant de son crédit, le fit nommer lecteur du Duc de Chartres, aux appointemens de 1 800 livres.

Au moment où la destinée de l’ancien pousseur d’alêne achève ainsi de changer de face, il est nécessaire pour l’historien de tirer son crayon et d’esquisser plus complètement le portrait de ce grand faiseur de portraits. La tâche, à vrai dire, nous est simplifiée. Carmontelle a pris soin de tracer son image. Son