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dépense à absorber des conférences et des lectures sans choix, sans profit, parce que la réflexion, le retour sur soi font défaut. Elles ont une peur affreuse de la méditation, de la vie intérieure, du tête-à-tête avec soi-même… Me fiancer, me marier avec de semblables péronnelles !… J’aimerais encore mieux le célibat, ou la bohème de sentiment !…

J’écoutais, et je pensais : « Tout ce que dit ce jeune poète est marqué au coin de la plus saine raison… » Cependant je crus devoir objecter encore :

— Sylvie est jolie, sage, sincère, gracieuse. Son cœur est tendre. Dans le ménage libre penseur de son père remarié, elle a continué tout doucement à pratiquer sa croyance traditionnelle, sans affectation, sans dispute : preuve, comme vous le dites, d’une âme ferme et d’une vie intérieure active. Je vous accorde qu’elle égale en intelligence, avec plus de simplicité, Mlles Demonville et même Mlle Bernier… Mais une intelligence moyenne, est-ce suffisant pour la femme que vous épouserez ? Un esprit féminin vraiment supérieur ne serait-il pas mieux placé auprès de vous, comme conseil, comme aide, comme critique utile ?

Le joli rire éclatant de Georges sonna derechef :

— Une femme supérieure ? Une femme auteur, peut-être ? Oh ! monsieur, qu’est-ce que je vous ai fait ? Mais tous, tant que nous sommes, dans ma génération, nous sommes déjà excédés par l’intellectualité des jeunes filles ! Nous sommes résolus à épouser les moins pédantes, les moins « supérieures, » celles qui n’auront pas la prétention de tout savoir et de tout juger, et surtout celles qui en aucun cas, à aucun âge, ne nous feront la méchante surprise d’écrire un roman, ou des vers, avec notre nom sur la couverture !

Je reconnus dans cette sortie un sentiment que j’avais déjà noté parmi les coquelets de la nouvelle couvée : la sourde rancune contre la concurrence intellectuelle des jeunes filles… C’est que, depuis le temps où vous-même étiez jeune fille, ma chère Françoise, il a coulé la dixième partie d’un siècle. La boulimie intellectuelle de votre sexe s’est exaspérée. Les jeunes filles se sont précipitées avidement sur les études classiques, que les jeunes gens négligeaient par la faute des programmes. Corollaire : les jeunes gens d’aujourd’hui ont la sensation d’être moins cultivés que les jeunes filles, et celles-ci ne manquent pas de faire parade de leur avantage… Cela finira, espérons-le, par