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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/117

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les petits Anglo-Saxons ont une tradition morale, spirituelle, nationale, extrêmement solide encore, bien qu’on signale chez eux les symptômes d’une crise.

Or, j’ai la conviction que le tempérament d’enfant le plus sain, cultivé le plus sagement du monde, ne suffit pas à garantir, pour l’avenir, un être vraiment moral. Il vient un jour, en effet, où l’éducateur a fini sa tâche, et rend au disciple sa liberté. Libre, le disciple entre dans la vie du monde. Son caractère est, à ce moment précis, une résultante de deux composantes : les habitudes innées (nature héritée) et les habitudes acquises (éducation). Mais voilà qu’une composante nouvelle va influer sur lui : la vie, le contact des hommes, les leçons de l’expérience. Selon le hasard de ses expériences, le jeune disciple libéré recevra de la vie comme une « éducation seconde, » et ce n’est guère qu’après cinq ou six ans de cette éducation seconde que le caractère définitif sera formé, résultante de trois composantes : nature, éducation, expérience.

L’expérience, quoi qu’on en dise, n’est pas toujours une éducatrice moralisante. Elle donne parfois des conseils d’égoïsme, de duplicité, voire de férocité. Elle en donne souvent de scepticisme, de laisser aller, de jouissance souriante… Pour choisir entre les leçons de l’expérience, pour mettre au point son enseignement, il faut à tout prix que le disciple, jeté dans la vie, porte en soi une inflexible règle morale, un idéal d’action, une foi dans le bien impératif : il pourra faillir, mais au moins saura-t-il qu’il a failli, au moins se jugera-t-il.

Créer cette règle morale inflexible dans Pierre et Simone, nous y travaillons de notre mieux, chère Françoise. Nous leur enseignons, selon le conseil de M. Jules Lemaitre, les croyances de leurs pères. Mais nous ne nous jugeons pas quittes avec eux lorsqu’ils ont ânonné des préceptes. Nous voulons que l’enseignement moral soit pour eux distinct de l’enseignement de la géographie ou du calcul, que ce ne soit pas, comme pour le reste, des pages qu’on apprend et envers lesquelles on est libéré dès qu’on les a comprises et logées dans sa mémoire. Nous nous efforçons d’implanter en eux cette rigide règle morale qui demeurera leur principe actif, défendant et développant notre enseignement à travers la vie, malgré les tentations de l’égoïsme et du scepticisme.