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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/246

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de leurs sacs. » Et à neuf heures, Failly confirme : « Mac Mahon en retraite sur Saverne après bataille perdue. »

Comment exprimer l’effet que produisent ces nouvelles, Ce n’est pas le désarroi, pas même la panique, pas même l’ahurissement, c’est la prostration, la désespérance, l’anéantissement. « Je suis obligé de l’avouer, dit l’écuyer de l’Empereur, Faverot de Kerbrech, le 6 août au soir, alors que, consternés, nous recevions au quartier impérial ces télégrammes navrans, je n’ai pas trouvé chez les généraux, dans l’atmosphère desquels vivait l’Empereur, le calme, la pondération, la fermeté réconfortante que j’aurais été heureux de saluer chez ces vieux soldats qui, tous, avaient fait la guerre, et qui étaient les conseillers naturels et indiqués de leur souverain... Les idées les moins raisonnables furent émises. Mais le plus violent de tous fut précisément le général Lebrun, en partie éditeur responsable de nos malheurs présens, celui qui avait été, dans la coulisse, l’inspirateur du « plan de campagne, » et qui avait fait prévaloir la théorie des petits paquets disséminés le long de la frontière. Ce soir-là, il nous fit à nous autres, les jeunes, une impression pénible. Se laissant aller à une excitation que la présence de l’Empereur aurait dû contenir, il traita d’incapables et d’ignorans ses camarades malheureux, et ne parla de rien moins que de les faire fusiller... J’admirai l’Empereur, qui sut rester calme au milieu de ces divagations et ne laissa pas échapper une parole de blâme contre les généraux qui venaient d’être mis en déroute et rendaient désormais si grosse la responsabilité du chef suprême. Mais je songeai douloureusement qu’en un moment si angoissant, il n’avait auprès de lui aucun guide réfléchi, susceptible de l’éclairer, quand tous ceux que leur situation mettait à même de le faire se laissaient aller au découragement ou à la colère. Cet ami des anciens jours, ce conseiller fidèle et sûr, dont l’intelligence supérieure et l’esprit prodigieusement fécond auraient su dominer les circonstances et dicter les décisives résolutions, j’ai toujours pensé, avec le vaillant maréchal Canrobert, que c’était le général Fleury qui en réalisait l’idéal[1]. » Je dis, moi aussi : « Quel malheur que Fleury n’ait pas été là ! »

Il y a dans tous les quartiers généraux un certain nombre de gens qui savent, avec la plus grande pénétration, faire ressortir

  1. Faverot de Kerbrech, Mes Souvenirs, p. 29-9.