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Bosinney répondit : « Un peu ! Il siffle une chanson de chasse ; je l’ai entendu en arrivant dans le square. »

— C’est un amour d’oiseau !

— Un peu de salade, monsieur ? Bilson enleva le poulet de grain.

Mais Soames parlait : « Les asperges sont médiocres. Bosinney, verre de sherry avec l’entremets ? June, vous ne buvez rien. »

June dit : « Vous savez bien que je ne prends pas de vin. Quelle horreur que le vin ! »

Une charlotte parut, sur un plat d’argent. Et, avec un sourire, Irène dit : « Les azalées sont si merveilleux cette année !... »

A quoi Bosinney répondit dans un murmure : « Merveilleux ! Le parfum est extraordinaire ! »

June dit : « Comment pouvez-vous aimer cette odeur-là ! Du sucre, s’il vous plaît, Bilson ! »

Du sucre lui fut présenté, et Soames remarqua : « Pas mauvaise, la charlotte ! »

La charlotte disparut. Un long silence suivit.

Irène fit un signe : « Otez les azalées, Bilson ! Mademoiselle June n’en supporte pas l’odeur ! »

— Non ! qu’ils restent ! dit June.

Suivirent des olives de France, avec du caviar russe, sur de petites assiettes. Et Soames remarqua : « Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir la grosse espèce, les espagnoles ? » Personne ne répondit.

Les olives disparurent. Levant son verre, June demanda : « Un peu d’eau, s’il vous plaît ! » Bilson lui versa de l’eau. Des prunes confites d’Allemagne parurent sur un plateau d’argent. Il y eut une pause assez longue. Ensemble, en parfaite harmonie, ils les mangeaient.

Bosinney se mit à compter ses noyaux. « Cette année, — l’un prochain, — un jour[1]... »

Irène acheva à voix basse : « Jamais. Quel splendide coucher de soleil nous avons eu ! Le ciel est encore couleur de rubis... d’une telle beauté !... »

Il répondit : « Oui, au bas du ciel sombre. »

Leurs yeux s’étaient rencontrés, et June s’écria d’un ton de mépris : « Un coucher de soleil de Londres ! »

On passa des cigarettes égyptiennes dans une boîte d’argent. Soames eu prit une et demanda : « A quelle heure votre théâtre[2] ? »

Personne ne répondit, et l’on servit du café turc dans de petites tasses d’émail.

Irène, avec un lent sourire dit : « Si seulement... »

— Si seulement quoi ? dit June.

— Si seulement ce pouvait être toujours le printemps !

On passa la liqueur : un cognac pâle et vieux.

Soames dit : « Bosinney, un doigt de cognac ? »

  1. C’est la formule d’un petit jeu traditionnel, comme notre : Je t’aime... Un peu... Beaucoup..., et qui consiste à prédire, en comptant des noyaux, le mariage ou le non-mariage. Le dernier mot de la formule est jamais.
  2. Bosinney, ce soir-là, doit conduire sa fiancée au théâtre.