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fiancée qui étouffe : Printemps ! Il n’y a pas un souffle d’air !

Voilà le thème pose, dont tout le morceau à trois parties va développer les variations. Quand Irène sort de son silence pour dire avec son mystérieux sourire : Les azalées sont si merveilleux cette année !... sans doute elle sourit dans le vague, elle rêve, elle revoit les azalées de la serre, u merveilleux, » parce que c’est au milieu de ces fleurs que tout à l’heure elle s’est sentie si près de Bosinney. Et quand Bosinney répond : Oui, merveilleux... le parfum est extraordinaire, c’est tout bas, « dans un murmure ; » il rêve lui aussi, il ne parle que pour elle. Aussitôt l’impatiente exclamation de June, — Comment pouvez-vous aimer cette odeur-là ? — traversant, rompant le courant qui tend toujours à se rétablir entre Irène et le jeune homme. N’oubliez pas que c’est derrière les azalées qu’elle a surpris leur entente. Elle déteste à présent l’odeur des azalées. Et soyez sûr qu’il y a quelque chose de factice, de tendu dans sa voix, quand elle continue sans s’arrêter : Du sucre, s’il vous plaît, Bilson ! Et, l’instant d’après, son trouble et son irritation se trahissent davantage : Enlevez les azalées ! dit Irène, Mademoiselle June n’en supporte pas l’odeur. — Non, qu’ils restent ! dit June. La pure saccade nerveuse. Je vous dis qu’elle étouffe ; elle ne peut pas manger ; elle refuse les plats.

Maintenant, relisez jusqu’au bout la scène dont le pathétique monte à mesure qu’elle se développe. Quel rêve et quelle mélancolie de pressentiment dans ces mots de Bosinney et d’Irène ! « Cette année, — l’an prochain, — un jour... » — « Jamais !... Le ciel est encore couleur de rubis, si admirable ! » — « Oui, au bas du ciel sombre. » Et vers la fin : — Si seulement.., dit Irène à voix basse. — Si seulement quoi ? dit June (ce qui veut dire : mais parlez donc tout haut ! parlez donc pour tout le monde !) Si seulement ce pouvait être toujours le printemps ! — Entendez : si maintenant pouvait s’éterniser ! Si seulement il n’y avait pas le menaçant avenir ! Remarquez enfin que, dans cette scène de passion, la psychologie propre de chaque personnage ne cesse pas d’être visible. Irène demeure l’être sensitif, passif, intérieur que nous avons vu jusque-là En June vous retrouvez la petite-fille volontaire du vieux Jolyon ; ses réactions sont celles du cou- rage et de l’attaque. Bosinney, l’amoureux, est aussi l’artiste qui a noté la chanson de chasse que siffle un oiseau. Admirez en Soames l’éternel mari, et de plus le Forsyte précis, positif,