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En sa qualité de chef d’armée, il était obligé de se tenir en un point central d’où pussent arriver et partir à tout instant les renseignemens et les ordres venus de ses trois corps. S’il disparaissait de ce centre, toute unité d’action cessait, et chacun était livré au hasard. Si, pendant qu’il galopait à la recherche de son lieutenant, un incident était survenu, un péril imprévu eût surgi, que n’aurait-on pas dit d’un général en chef qui désertait sa direction. Une des règles les plus certaines de la science militaire est que le commandant d’une armée, « même quand il a autour de lui ses différens corps à de courtes distances, ne doit jamais trop se rapprocher des combattans ni se laisser absorber par les détails du combat des unités, qui ne le regardent pas et qui lui feraient négliger l’ensemble en abandonnant une tâche importante[1]. » Moltke, Frédéric-Charles, Steinmetz ne sont pas accourus au canon sur le champ de bataille ; ils se sont contentés d’envoyer ou d’approuver l’envoi de troupes de secours et personne en Allemagne ne le leur a reproché. Cette obligation de ne pas déserter le centre de son commandement s’imposait d’autant plus à Bazaine que Saint-Avold, point stratégique de première importance à surveiller, pouvait, à tout instant, voir fondre de Sarrelouis une diversion plus dangereuse que celle qui mettait Frossard en fuite.

On a répété que nos défaites provenaient de ce que nos généraux ont pratiqué la petite guerre, et non la grande. Or c’est précisément aux préceptes de la grande guerre qu’a obéi Bazaine en cette occasion. S’il avait été le général de la petite guerre, il aurait couru vers Frossard tête baissée, n’apercevant qu’un des côtés du champ d’opérations. En restant vigilant, mais immobile au centre du vaste mouvement auquel il présidait, il a démontré que, s’il n’avait pas la science de la grande guerre, il en avait l’instinct. Il a donc bien fait, en secourant Frossard de tout son pouvoir, de ne pas aller lui-même sur le champ de. bataille où sa présence eût été peut-être funeste, peut-être inutile. Sa conduite ce jour-là a été irréprochable ; il n’est responsable ni de près, ni de loin, ni directement, ni indirectement, de la défaite volontaire de Forbach, imputable uniquement à l’inexpérience arrogante de Frossard.

  1. Verdy du Vernois, Mémoires.