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d’armée sur Weimar. Je n’ose prendre sur moi d’ordonner ce mouvement. » En effet, s’il l’avait ordonné, le succès du plan d’Iéna eût été compromis. Lannes mérite plus d’être imité que ce Kameke qui, étourdiment, par un acte de désobéissance, dérange le plan si longtemps médité de Moltke et expose les Prussiens à perdre leur première bataille. C’est parce que Failly a cessé d’être un chef obéissant pour devenir un chef d’anarchie à l’instar des Prussiens, que la journée de Wœrth a été perdue.

L’anarchie dans l’action a profité aux Prussiens, il est vrai, mais par deux circonstances accidentelles : à Wœrth, leur écrasante supériorité de nombre couvrait toutes leurs erreurs ; à Forbach, où ils n’avaient pas cette supériorité, ils n’ont eu devant eux qu’un chef contre lequel l’insanité même devait l’emporter. Le succès à la guerre est tout, a-t-on dit, quel que soit le moyen par lequel on l’ait obtenu. Oui, à condition que ce succès ne soit pas éphémère. « Quand un succès a eu lieu contre les principes, a dit Napoléon, il ne faut pas l’approuver, car, à la longue, le principe méconnu se venge de ceux qui, d’abord, en ont profité. » Que les chefs de l’armée française de l’avenir restent donc ce qu’ils ont été en 1870, ce qu’ils ont été antérieur rement, ce qu’ils ont été toujours, des subordonnés obéissans, qui attendent les ordres et qui les exécutent.

Seulement, l’armée obéissante n’a toute sa valeur que si elle est vigoureusement tenue en main par un chef qui inspire confiance, qui sait ce qu’il veut, où il va et qui se rend bien compte que l’action des armées nombreuses n’est pas compatible avec une certaine espèce d’ordres. Un généralissime, obligé de s’établir à grande distance, ne peut plus embrasser le front étendu de ses forces ; la bataille sera une série de petites batailles indépendantes, ne se coordonnant que par l’identité de l’esprit directeur. Les ordres ne doivent donc pas être minutieux, entrer dans le détail des mouvemens tactiques ; ils indiqueront seulement le but à atteindre en laissant à chaque chef de corps le choix des meilleurs moyens. En d’autres termes, ils ne doivent pas être des lisières, mais des directives.

En 1870 dans notre armée on connaissait la nécessité de ces directives et on en a fait emploi. Ainsi en ordonnant à Bazaine de préparer l’expédition de Sarrebrück, l’Etat-major ajoute que pour les moyens d’exécution il s’en rapportait à l’expérience du maréchal ; en prescrivant à Frossard de se concentrer autour de