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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/449

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n’a pas été « vu » auparavant. Ce ne sont point des tableaux. Ce sont des enluminures, claires, éclatantes, traitées comme des pages de missel, ou de très riches Heures, avec un faire précieux et appuyé. Mais si petites qu’elles soient, elles ouvrent à l’imagination un horizon illimité. D’où cela vient-il ? Pour quoi est-ce fait ? Qu’est-ce que cela signifie? Les titres ne renseignent guère. Perseus, il Santo, Bruges-la-Morte, la Châsse de Sainte Ursule, dit le livret. Et la signature Mossa niciensis pinsit ne nous éclaire pas davantage. On est en plein rêve. Les païens ont voulu violer la châsse fameuse de Sainte Ursule, qui est à Bruges. La Sainte, elle-même, est apparue, couronne en tête et vêtue d’une robe de cour, bordée d’hermine, ses cheveux d’or ruisselant sur son dos, et, prenant dans ses mains sa propre châsse, l’a soustraite à leurs fureurs. Elle s’est acheminée vers le Lac d’Amour, bleu dans les gazons verts, tenant le précieux objet, où l’on reconnaît le travail de Memling, bien au-dessus des atteintes des hommes, dans une région du ciel où les oiseaux de mer tournent et retournent autour d’elle. Pourtant, les Barbares s’obstinent à l’assaillir. Ces myrmidons ont même dressé contre elle une arbalète de siège, mais leurs flèches n’arrivent qu’à épingler le bas de sa robe blanche et de son manteau d’or. Sans y songer, tout en avançant, elle les pousse dans le lac, où, ils se noient, tandis que les cygnes géans nagent vers eux pour les gober... La Sainte ne voit ce qu’ils font, n’entend ce qu’ils crient, ne craint ce qu’ils perpètrent : elle semble n’avoir pas quitté le Paradis. Ses pieds sont bien à Bruges cependant : le Pont du Minnewater et le clocher de Notre-Dame pointant à l’horizon, valent une signature ; mais son sourire enfantin, son costume précieux, la clarté qui rayonne d’elle nous emportent bien loin dans le passé... Tout le rêve du Moyen Age : la force brutale vaincue par la grâce, la guerre moins forte que la paix, les trésors de l’art hors des atteintes des barbares, se devine dans cette enluminure. En même temps, une pointe de grotesque, comme dans les compositions de Jérôme Bosch, y perce parmi une foule de détails mystérieux et de symboles inexplicables.

Même chose dans l’image intitulée Il Santo. Sur une étroite corniche de montagne, entre deux à-pics, s’avance un moine blanc au crâne soigneusement ras et prodigieusement pointu, pressant contre sa poitrine son livre d’heures et une lampe allumée.