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de l’offensive que lorsque l’ensemble lui-même est poussé par la volonté directrice, que le cri « En avant ! » a été lancé, et que, comme Moltke dans sa dépêche au Prince royal ‘3 août), le chef a dit : « Offensive générale ! » Quand une armée a été immobilisée dans la défensive stratégique par son général en chef, elle repousse intrépidement les attaques, mais quand elle y a réussi, elle considère son but comme atteint : le maintien de ses positions lui paraît le seul succès qu’elle ait à poursuivre, elle s’en contente : les échecs que subit l’ennemi, elle les considère à l’égal du succès et elle ne recherche pas d’autre satisfaction.

Si, en 1870, nos troupes ont agi offensivement moins que celles des Prussiens, ce n’est pas qu’elles aient été formées par une doctrine différente de la leur. En 1870, il n’y a pas eu lutte d’une doctrine contre une doctrine. A Wœrth, ce n’est pas une doctrine qui a empêché Failly d’aller gagner la bataille : à Forbach, ce n’est pas une doctrine qui a fait perdre la tête à Frossard et l’a fait fuir sur Sarreguemines. Ce n’est pas une doctrine qui a été battue en Alsace et en Lorraine, ce sont des hommes inférieurs à leur tâche. C’est cet état-major engourdi, cacochyme, dont les incertitudes et la pusillanimité détruisent de leurs propres mains l’armée avant qu’elle ait combattu, la démoralisent et glacent l’ardeur des premiers jours par les ordres, les contre-ordres, les marches, les contremarches, les piétinemens, les attentes. Thiers l’a dit justement à l’homme, à divers titres si éminent, qui a été le pivot de la défense nationale. Freycinet : « Si les armées avaient été bien commandées et constituées comme elles auraient dû l’être, nous aurions battu les Prussiens. » Il n’y a pas plus eu unité de doctrine chez nos adversaires qu’il n’y en a eu manque chez nous : les doctrines étaient les mêmes et Napoléon, qu’il fût commenté par Clausewitz ou Jomini, ou Bugeaud. était considéré de part et d’autre comme le législateur suprême.

L’inconvénient de cette fausse méthode, d’envisager les faits de guerre en mettant de la doctrine où il n’y en a pas. est de créer une sorte de déterminisme militaire qui supprime la responsabilité des individus et lui substitue la fatalité des choses. Elle a aussi le tort de faire croire que, quand on a bourré la tête des jeunes gens de formules plus ou moins bien rédigées, on en fera des victorieux. Il faut nous applaudir d’avoir notre excellente Ecole de guerre, pépinière féconde d’où sortent régulièrement