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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/477

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et qu’on lui a fait entrevoir de loin les boulevards de Paris comme un refuge assuré : El Mokri a pu lui dire les plaisirs qui y abondaient. Moulaï-Hafid s’est donc attaché, acharné à l’idée de son voyage et on a commencé d’y préparer l’opinion française. On l’a fait plus habilement qu’on n’avait préparé l’opinion marocaine au traité de protectorat : le voyage du Sultan a été présenté comme une reconnaissance définitive, une consécration éclatante de notre protectorat. Ce point de vue pouvait séduire ; cependant les objections et les critiques n’ont pas tardé à se produire et on a fini par avouer la vérité. Moulaï-Hafid s’entêtait dans son projet avec la violence d’un homme qui veut fuir le danger sans regarder derrière soi, et l’exigence d’un enfant gâté qui a l’habitude de voir tous ses désirs réalisés.

Que faire ? Le gouvernement sentait bien qu’on l’acculait à une nouvelle faute : d’autre part, nos représentans à Fez avaient promis et devenaient pressans. Grande perplexité ! Cependant les circonstances marocaines sont devenues telles qu’on a dû renoncer, au moins provisoirement, au voyage du Sultan et qu’on a réussi, parait-il, à le convaincre lui-même de cette nécessité. De Fez à Rabat, le chemin n’est pas sûr ; les tribus qu’on y rencontre semblent à la veille d’une révolte avouée. Le Sultan devait être accompagné de M. Regnault : d’aussi importans personnages ne voyagent pas comme des particuliers, il faut les entourer de forces respectables pour les préserver de tout danger. Qu’arriverait-il, en effet, si ces précautions se trouvant insuffisantes, ils étaient enlevés en cours de route ? Il est triste de penser qu’un an après notre marche sur Fez, de pareils dangers ne sont pas chimériques. Peu à peu des renseignemens plus complets, plus précis, nous sont donnés sur la conspiration tramée contre nous. Comme il arrive souvent, elle a éclaté avant l’heure ; les troupes chérifiennes se sont révoltées trop tôt et le mouvement d’ensemble qui avait été préparé est devenu partiel et successif. On nous raconte aujourd’hui qu’il avait précisément pour objet d’enlever le Sultan entre Fez et Rabat et de l’arracher aux Français qui le retenaient prisonnier. Il y a. en effet, au Maroc deux versions à son sujet : d’après l’une, il a vendu traîtreusement son pays à la France et il est digne de mépris ; d’après l’autre, il subit avec douleur un joug auquel il est temps de le soustraire. Entre ces deux versions, chacun fait son choix. Quant au Sultan lui-même, il parle comme notre ami. mais il gémit comme notre prisonnier, n’étant pas fâché qu’on croie qu’il l’est : dans l’incertitude de l’avenir, c’est le seul moyen pour lui de trouver un regain de popularité. Sans que