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VII

Pendant ces deux jours terribles des 7 et 8 août, je n’avais pas eu le loisir de me recueillir et de réfléchir aux mesures qu’exigeait le péril croissant. A la fin de la journée du 8, pendant les premières heures de la nuit, je m’enfermai dans mon cabinet et, me promenant à pas lents dans son ombre à peine éclairée par la lampe posée sur un bureau, je me demandai ce que j’allais proposer au Conseil des Ministres, puis à la Chambre.

La première évidence que j’avais eue d’instinct, et que tous les renseignemens avaient confirmée, était que la mauvaise fortune des débuts était due au pitoyable état de la santé de l’Empereur : son commandement avait compromis l’armée et l’achèverait si on ne le lui retirait pas. L’établissement de la régence, qui transportait le gouvernement aux mains de l’Impératrice, ne nous avait pas permis de déléguer en permanence un de nous au quartier général, ce qui eût été naturel si l’Empereur était resté chef de l’Etat en même temps que chef de l’armée. Nous avions compté que Le Bœuf nous tiendrait au courant des événemens intimes qu’il nous était urgent de connaître : il n’en avait rien fait. Il n’avait entretenu aucune relation avec aucun de nous, pas même avec Dejean, ne nous avait signalé aucune des défaillances du commandement, ni révélé le secret de l’immobilité, du piétinement qui nous alarmaient. Mais d’autres m’avaient dépeint la réalité. Par des lettres, par des visites, me parvenait l’unanime attestation de l’impossibilité physique dans laquelle l’Empereur se trouvait d’exercer le commandement suprême. « Il ne commande pas, disait-on, et il ne permet pas qu’on commande. »

Ce qui me revenait sur l’état de l’armée ne méritait pas moins de me préoccuper. Un léger affaissement se laissait pressentir dans sa solidité. Les intolérables va-et-vient sur les mêmes routes l’avaient lassée ; les récits qui circulaient dans ses rangs, les défaites de Wœrth et de Forbach l’avaient troublée. Elle n’était donc plus l’armée invincible. Si l’on ne relevait sans tarder son moral par quelque acte vigoureux, il était à craindre qu’inférieure par la quantité, elle ne devint aussi inférieure par la qualité. Qu’on mit un chef actif à sa tête, elle reprendrait