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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/578

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plaidoyer, lorsque cette morale et cette philosophie seront devenues caduques, lorsque votre dilettantisme aura passé de mode ? Derrière les choses présentées par vous, ce que j’aperçois c’est vous-même, votre sentiment ou vos idées. Or le moi est haïssable, les sentimens et les idées sont éphémères. Derrière les choses, il n’y a que le mystère qui les conditionne et qui, à cause de cette nécessité, les rend sérieuses.


La deuxième règle de l’esthétique de Flaubert, — qui n’est que le corollaire de la précédente, — c’est que l’art doit être impersonnel. Il l’a écrit dans ses lettres et répété si souvent dans ses conversations, que nous n’aurions que l’embarras du choix entre une foule de citations exprimant toutes la même idée. Mais s’il est certain que, pour Flaubert, l’impersonnalité de l’artiste est un dogme capital, ce qui est moins sûr, ce sont les interprétations courantes qu’on en a données.

Prendre au pied de la lettre ce précepte de l’impersonnalité, c’est se tromper grandement. Pour Flaubert, l’esprit de l’artiste n’est pas qu’un miroir, ou, comme on s’est plu à le dire, une plaque photographique, qui reflète mécaniquement le monde extérieur, sans y rien ajouter. Pour lui, l’art, c’est toujours « l’homme ajouté à la nature, » -— mais l’homme littéraire, et non point le bourgeois ou le citoyen, l’individu avec ses affaires ou ses sentimens personnels, ses obligations ou ses préjugés de caste et de milieu. Il est trop évident que cet homme littéraire, avec ses aptitudes, ses tics de métier, ses dons supérieurs, ses lacunes et ses tares, marque son empreinte sur une œuvre. Bien loin de le nier, Flaubert reproche au contraire à la méthode critique de Taine de ne pas tenir un compte suffisant de la personnalité littéraire de l’artiste et de la sacrifier insensiblement ou de la réduire à son milieu et à son ascendance, — c’est-à-dire à tout ce qui n’est pas proprement l’artiste dans un individu : « Il y a autre chose dans l’art que le milieu où il s’exerce, et les antécédens physiologiques de l’ouvrier. Avec ce système-là, on explique la série, le groupe, mais jamais l’individualité, le fait spécial, qui fait qu’on est celui-là. Cette méthode amène forcément à ne faire aucun cas du talent[1]. »

Mais, dira-t-on, la personnalité inférieure de l’écrivain,

  1. Correspondance, IIIe série, p. 195.