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et des gemmes, il finit par arriver au fond du sanctuaire, un obscur réduit, où il ne discerne rien qu’une pierre noire, à peine dégrossie !

Évidemment Flaubert a voulu que nous éprouvions quelque chose de cette irritation et de cette déception devant la figure imprécise de Salammbô : c’est par là qu’elle rappelle l’Orient et qu’elle ressemble aux femmes de son pays. Mais en même temps, il l’a douée de sentimens et de passions qui l’apparentent à la nature féminine, telle qu’elle se rencontre, je crois, dans tous les temps et sous tous les climats.

Salammbô a les inquiétudes de la vierge qui pressent on ne sait quel grand bonheur vers lequel elle se précipite de toute son âme et qu’elle n’atteindra jamais. Elle est avide d’aimer. Elle croit aimer la Déesse, comme la pauvre Emma Bovary croit aimer ses amans ; mais elle n’aime que l’amour, c’est-à-dire, dans la pensée de Flaubert, l’ombre d’une ombre. Et lorsqu’elle s’imagine être au but de ses plus ardentes convoitises, lorsqu’elle touche enfin de ses mains ce voile de l’Immaculée, ce zaïmph qu’elle a reconquis au prix de sa vie et de sa virginité, elle reste « mélancolique devant son rêve accompli, » de même que la petite bourgeoise d’Yonville, dans toute la frénésie de la passion et dans tout l’orgueil de l’adultère triomphant s’avouait « ne rien sentir d’extraordinaire. » Les mêmes phrases désabusées se répondent d’un roman à l’autre et elles traduisent la même aspiration immense et douloureuse, le même accablement devant l’impuissance du Désir !

Non seulement Salammbô est une petite âme inquiète et angoissée : elle ne serait pas la fille de Flaubert, si elle ne tenait de son père une passion d’ordre plus intellectuel que le désir. Elle est dévorée de la curiosité de savoir ; et par là encore, elle touche à la nature féminine dans ce qu’elle a de plus intime ; elle rejoint l’Ève éternelle qui veut goûter, elle aussi, au fruit de l’arbre de la science, malgré tout, malgré la défense divine, malgré la chute et la damnation. Elle veut savoir, non pas même pour la joie de savoir, car elle n’ignore pas que toute la science du monde ne la satisfera jamais, mais uniquement pour le plaisir de violer le grand secret et d’enfreindre la loi. Lorsque Shahabarim, le prêtre de Tanit, la vient visiter, le vieillard a beau lui répéter qu’il n’a plus rien à lui apprendre, elle le presse de ses questions, elle le tourmente pour qu’il lui dévoile