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prenant goût à la curée, ils chercheront à prendre ou à garder d’autres morceaux de l’Empire ottoman. Si les Turcs remportent quelques succès notables, ou seulement réussissent à prolonger longtemps la lutte, le nationalisme Jeune-Turc, déjà plein d’arrogance et d’intolérance, deviendra intraitable et amènera la crise décisive et finale de la question d’Orient. L’Islam tout entier s’agitera : on en éprouvera le contre-coup au Maroc, et jusqu’aux Indes et en Chine.

Que faire donc? S’il y avait une Europe, c’est-à-dire si les intérêts communs à toutes les puissances donnaient lieu entre elles à des échanges de vues qui auraient pour objet, non pas de se tromper les unes les autres, ou d’obtenir les unes sur les autres quelque avantage apparent et passager, mais de travailler au bien général, si une volonté conductrice savait prendre des initiatives et inspirer des résolutions, si surtout les puissances étaient résolues à imposer ce qu’elles auraient décidé dans l’intérêt de tous, la solution serait peut-être moins difficile à trouver que l’on ne pense.

Ne pourrait-on pas faire remarquer à la Turquie qu’elle n’a jamais possédé la Tripolitaine et la Cyrénaïque que pour les exploiter et y déporter les fonctionnaires mal en cour ; qu’elle a laissé ouverte, malgré les représentations de l’Europe, la dernière porte par où des esclaves noirs du Soudan sont vendus dans la Méditerranée ; qu’elle a donc mérité de perdre l’administration de la province ; que d’ailleurs, « en perdant la Tripolitaine, comme l’a dit le général Von der Goltz, matériellement elle ne perd rien, » c’est-à-dire ni force ni richesse ; que si l’Italie consentait à reconnaître la suprématie religieuse du Sultan et à payer sous une forme quelconque une indemnité pécuniaire, la Turquie serait mal venue à continuer une guerre qui ne saurait lui profiter, et d’où peut sortir, soit en Albanie, soit en Macédoine, soit dans les détroits, la crise finale dont elle est toujours menacée ; qu’enfin si le Comité Jeune-Turc trouve peut-être son intérêt à continuer la guerre, la masse du pays aurait avantage à la voir cesser ? — A l’Italie, l’Europe ne pourrait-elle pas faire entendre qu’elle a déjà dépensé en hommes et en argent plus que la valeur du pays qu’elle désire acquérir ; que l’intérêt de ses finances, de son commerce, de ses relations internationales, réclame une prompte pacification de la Méditerranée ; qu’elle inflige aux neutres des dommages immérités d’où