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et caricaturale, il bafoue sans pitié la synagogue, les Romains, Caïphe, Anne, Pilate. Les soldats ont des trognes d’apaches ou de cannibales. Judas surtout est maltraite. Comme on conspue le traître à la porte d’un mélodrame, Canavesi ne se tient pas de consacrer une parenthèse au châtiment du scélérat. Entre le Crucifiement et la scène du Calvaire, il intercale une page qui nous montre sa mort. Certes, les gens d’alors avaient les nerfs solides, et les artistes ne craignaient pas le gibier de potence ; depuis Léonard et Botticelli, qui peignirent les condamnés de la conjuration des Pazzi, jusqu’à André del Castagno, qui pour une besogne semblable reçut le sobriquet d’André « degli Impiecati, » l’art italien a fait sa ce Ballade des Pendus. » Mais dans ce genre patibulaire, la palme reste à Canavesi. Sa mort de Judas est un effroyable chef-d’œuvre. Raide, le col désaxé, les doigts figés, le globe de l’œil exorbité, tirant une langue noire avec une grimace d’horreur, le misérable pend comme une repoussante guenille, un hideux mannequin. Son ventre bâille, — crepuit medius, — les intestins débordent et, par une suprême injure, un diablotin griffu, à figure de singe, les lui fouille, et arrache l’âme, non de la bouche, comme à un chrétien, mais des entrailles du maudit.

J’ai noté dans ces fresques les souvenirs du théâtre ; ce ne sont pas les seuls qu’on y peut signaler. Mille mètres d’altitude équivalent, en art, à dix degrés d’écart vers le Nord. Ces peintures fourmillent de traits qui décèlent l’influence septentrionale. L’auteur a eu entre les mains des gravures allemandes. En voici une preuve. Au-dessus du gouffre infernal où s’agitent les damnés, on remarque, à Fontan, un monstrueux squelette embrassant, enjambant l’abime de ses pattes gigantesques, étendues et planant en accent circonflexe ; c’est la Mort qui roule la dernière, après le Jugement, comme un épouvantail désormais inutile, dans l’empire des ténèbres. « La Mort est morte ! » Cette pensée est familière aux enfers flamands, hollandais ; je n’en connais pas d’autre exemple italien. On le voit : si le long des cotes voyagent les idées et les influences du Midi, c’est par les cols, les défilés, les difficiles sentiers des Alpes, nullement par la route impériale du Rhône, que se colportent les thèmes du Nord. Ce double courant se marque dans les œuvres contrastées de Brea et de Canavesi. Non loin de là est Varallo, avec ses fresques de la Passion et les « tableaux vivans »