Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/705

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Madrid. Avec l’assistance de deux autres coquins, l’ancien soldat de Napoléon attirait de riches commerçans étrangers dans une maison isolée qu’il avait louée à cette intention, et les égorgeait pour s’approprier le contenu de leurs portefeuilles !

Mais pendant que George Borrow lui-même s’adonnait ainsi, délicieusement, à la fréquentation de ce que l’Espagne avait à lui offrir de plus savoureux en fait de malandrins de toute provenance, l’ambassadeur anglais à Madrid, sir George Villiers, après avoir vainement sollicité du ministère espagnol la remise en liberté de son compatriote, s’était adressé à son propre gouvernement qui, aussitôt, avait pris l’affaire très à cœur et, sous peine des plus graves représailles, avait exigé du comte Ofalia, président du conseil de Sa Majesté Catholique, la délivrance immédiate du jeune prisonnier. Le 12 mai, George Borrow vit s’ouvrir devant lui les portes de la prison ; et pendant près de deux années encore il continua vaillamment à distribuer les publications de la Société Biblique dans les villages les plus perdus de l’Espagne du Sud, poursuivant même sa propagande jusqu’au Maroc, où il ne semble pas d’ailleurs qu’un seul mahométan ait consenti à jeter les yeux sur les petits volumes dont il s’ingéniait à vanter, en langue arabe, l’origine surnaturelle et l’éminente beauté morale. Seuls, quelques Juifs de Tanger se sont laissé tenter par l’offre qu’il leur faisait, — en hébreu, car Borrow avait, entre autres spécialités singulières, celle de savoir parler à peu près toutes les langues du globe, — de leur vendre une traduction espagnole du Nouveau Testament : encore le missionnaire ne cache-t-il pas à la Société Biblique que ces Juifs auront vu là, simplement, « un moyen de s’exercer à bas prix dans la lecture de la langue espagnole. »

Et lorsque, vers la fin de 1840, George Borrow revint enfin dans sa patrie, après s’être décidément brouillé avec la Société Biblique, il eut la surprise de découvrir que son aventure de naguère avec l’agent de police don Pedro Martin de Eugenio l’avait rendu fameux. Toute l’Angleterre protestante, désormais, s’était accoutumée à admirer en lui un héros, presque un martyr, de la pure vérité évangélique, aux prises avec les plus puissans et ténébreux suppôts de l’Inquisition. De telle sorte qu’il suffit au jeune homme de donner, fort habilement, le titre édifiant de : La Bible en Espagne au récit d’une nombreuse et pittoresque série d’aventures dont la propagation de la « Bible en Espagne » n’avait été vraiment que l’occasion (ou plutôt même le prétexte), pour qu’aussitôt des milliers de lecteurs accueillissent le livre avec enthousiasme, — sauf peut-être à s’étonner un