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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/709

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son rôle de « missionnaire, » — pour ne pas dire : sa qualité de chrétien. Même dans Lavengro, ces brusques élans de piété, heureusement beaucoup plus rares que dans la Bible en Espagne, nous laissent sous une vague impression de gène : que l’on imagine l’auteur de l’Education sentimentale, ou encore celui du Bachelier et des Réfractaires, — ce Jules Vallès qui n’est pas non plus sans ressembler à George Borrow, avec sa haine passionnée de toute « aristocratie » et la savante chaleur contenue de son style, — qu’on les imagine s’interrompant soudain au milieu d’un de leurs récits pour se mettre à genoux et débiter un Pater Noster !

Aussi bien les contemporains eux-mêmes de Borrow avaient-ils été frappés déjà de ce caractère à tout le moins bizarre de sa dévotion ; et plus d’un critique lui avait discrètement reproché de n’être pas absolument sincère dans sa façon d’exprimer ses sentimens religieux. Mais Borrow s’est défendu avec énergie contre un tel reproche, et tous ceux qui l’ont connu, en particulier les directeurs de la Société Biblique, se sont accordés à affirmer son entière bonne foi ; sans compter que l’hypocrisie dont on le soupçonnait aurait été toute gratuite, et parfaitement inexplicable de la part d’un écrivain qui. devenu riche par son mariage, n’attendait désormais ni ne désirait aucun succès matériel de la vente de ses livres. Non, l’étrangeté de son attitude religieuse n’est pas simplement le fait d’un émule de Tartufe, non plus que d’un disciple secret de Voltaire s’amusant à singer une piété qu’il eût méprisée au fond de son cœur. L’explication de ses véritables sentimens religieux doit être cherchée plus loin, dans son éducation première, dans l’action des circonstances de sa destinée ; et c’est là, en effet, que nous pouvons désormais l’atteindre, grâce aux documens nouveaux que nous a révélés M. Herbert Jenkins.


Fils d’un officier, — ainsi qu’il nous l’apprend dans son Lavengro, — mais d’un officier d’origine paysanne, et qui longtemps n’avait été que « le sergent Borrow, » le futur romancier avait été élevé par ses parons dans le respect des dogmes et pratiques de l’église anglicane : mais les relations qu’il avait engagées de très bonne heure avec toute espèce d’hérétiques et de mécréans, et notamment avec ces Bohémiens qui longtemps l’avaient considéré comme l’un des leurs, n’avaient point tardé à étouffer en lui l’étincelle de piété qu’y avait, non sans effort, allumée sa mère ; et peut-être son esprit naturel d’insubordination, et l’antipathie réciproque qui, dès l’enfance, s’était manifestée entre son père et lui, avaient-ils encore contribué à lui faire détester une religion