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d’une Bible mandchoue : aussitôt, brusquement, ses lettres quotidiennes aux représentans de la Société Biblique se sont remplies d’allusions imprévues à une piété anglicane très fervente. Dans chacune de ces lettres, Borrow suppliait ses correspondans de prier pour lui. Il déclarait que, si on l’envoyait à Pétersbourg, il avait l’espoir de réussir à « travailler utilement pour la Divinité, pour les hommes, et pour soi-même, » expression qui n’était pas sans scandaliser quelque peu le vénérable pasteur à qui elle s’adressait. « En affirmant votre espoir de vous rendre utile à la Divinité, — répondait à Borrow ce membre influent de la Société Biblique, — vous vouliez parler, sans doute, de votre intention de rendre gloire à Dieu ? »

Que ces premiers élans de la nouvelle piété de George Borrow lui aient été suggérés, du moins en partie, par sa crainte de laisser échapper l’occasion d’un emploi aussi excellent de ses facultés d’homme d’action et de polyglotte, c’est ce que nous sommes, plus ou moins, contraints de supposer. Et il se peut vraiment aussi qu’à Pétersbourg, pendant la longue année qu’il y a consacrée à l’exécution d’une tâche infiniment hardie et malaisée, le jeune athée de naguère ait un peu forcé la note de sa dévotion. Mais lorsque ensuite Borrow s’est trouvé en Espagne, chargé maintenant non plus d’imprimer une traduction de la Bible, mais bien de distribuer à une population catholique des brochures expressément destinées à la détacher de sa vieille « superstition papiste, » dès ce moment ses lettres à la Société Biblique ont pris un accent incontestable d’entière et ardente sincérité religieuse. Sans aucun doute le jeune missionnaire, — dont j’ai oublié de dire qu’il aidait également exercé autrefois la profession de boxeur, — a pardonné à la religion de ses parens tout ce que ses dogmes pouvaient avoir à ses yeux de trop positif, en considération de ce dogme « négatif » qui consistait à haïr et à combattre les « machinations romaines. » La lutte contre le catholicisme est devenue pour lui, désormais, l’article fondamental de son credo anglican ; et si, de temps à autre, l’affirmation de cet article essentiel devait nécessairement s’accompagner, dans ses lettres ou plus tard dans ses livres, d’allusions plus ou moins catégoriques à tels autres articles accessoires, comme sa croyance en Dieu ou à l’inspiration révélée des Écritures, nous sentons que ces allusions mêmes ne lui coûtaient plus rien, — trop heureux qu’il était de pouvoir professer fidèlement une religion qui lui permettait de s’amuser de tout cœur à exciter et à braver les rancunes du clergé espagnol. Tout au plus certaines expressions de ses lettres continuaient-elles à étonner ou à effaroucher les naïfs directeurs