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Les principes et voire les mots qui autrefois ont exalté les multitudes et soulevé la nation n’échauffent plus qu’un petit nombre d’esprits, et distans les uns des autres. On ne sait plus au nom de quoi parler aux foules et les rassembler, si l’on a le scrupule de ne pas tenir le langage du démagogue, si l’on s’est promis de ne pas s’adresser à leurs passions les moins recommandables.

Eh bien ! dans ce désarroi, où M. Marcel Prévost quêta son thème d’unanimité urgente, ce qu’il a trouvé de mieux, — et je crois qu’il n’y avait pas mieux à trouver, — c’est l’idée du bonheur.

Elle a quelque beauté ; elle est pathétique, ne fût-ce que par sa difficulté même. L’irréalisable bonheur est comme une espèce d’idéal blessé.

Puis, le désir du bonheur a encore, sur d’autres désirs, cet avantage : il peut être épuré.

C’est à l’épurer que l’auteur des Lettres à Françoise a consacré sa dialectique ingénieuse. Il a suivi l’exemple des philosophes anglais qui, fondant la morale sur l’eudémonisme, aboutissaient au catéchisme du dévouement.

Le bonheur de l’enfant, disait d’abord M, Marcel Prévost ; quelques pages l’amènent à compléter sa formule et à la modifier : le bonheur de l’enfant et de la société dans laquelle il vivra. Et, surtout, le bonheur de l’enfant, c’est l’altruisme de Françoise. L’eudémonisme tourne ainsi vers la bonté. Si l’on observe que tel n’est pas son mouvement naturel, nous répliquerons que la morale, précisément, n’est pas la simple nature : elle la corrige. Le moraliste conduit à un subtil perfectionnement les spontanéités efficientes des âmes ; il les dérive à sa manière et il leur donne une finalité.

Il fallait parler de bonheur à Françoise, notre petite contemporaine, pour qu’elle voulût être attentive. En lui parlant du bonheur de son enfant, on l’avait conqui.se ; on l’avait aussi détachée d’elle-même et de son égoïsme, par le moyen de son égoïsme le plus cher.


Telle est, en résumé, la philosophie que je dégage des Lettres à Françoise maman ; une philosophie implicite, et que l’auteur