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de composition, dont mon analyse n’a pu vous donner qu’un aperçu, est merveilleux. Depuis très longtemps, depuis peut-être les Vacances d’un jeune homme sage, M. de Régnier n’avait mis autant d’art savant, ingénieux, adroit, infaillible, dans un roman. La seule critique que je ferais peut-être est celle-ci que toutes les analyses que fait d’elle-même et de ses sentimens Mme de Lérins, elle les fait dans des lettres adressées à son ancien mari. Il y a là quelque chose que d’aucuns trouveront piquant, mais qui me désoblige, comme étant un certain manque de pudeur ou au moins de délicatesse. Sans doute Mme de Lérins n’est pas une jeune fille ; mais vraiment elle ne l’est pas assez, je veux dire elle l’est trop pas du tout ; c’est à l’excès qu’il ne lui en reste rien.

Jolie diversité : les deux tiers du roman sont faits du journal de Julien, un tiers de ces lettres-mémoires de Mme de Lérins à son ancien mari ; le journal de Julien est écrit en style de notre temps : les lettres de Mme de Lérins sont écrites en style qui, sans pastiche, mais par le tour de phrase, rappelle le XVIIIe siècle ; et je répète que cette diversité est d’un ébattement agréable. Cet ouvrage en somme est délicieux...

J’allais oublier de vous dire que le dénouement que je vous ai rapporté plus haut n’est pas le dénouement ; n’est pas le dernier dénouement. Il pourrait l’être, et qui sait si je ne désirerais pas qu’il le fût ? mais enfin il ne l’est pas. Il y a un « épilogue » où Mme de Lérins se ravise, où elle vient se jeter dans les bras du bon Julien et lui pardonner tout le mal qu’elle lui a fait. Pourquoi ? Par pitié, sans doute ; car la femme est pitoyable. Par bonté, sans doute ; car la femme est si bonne ! Oui, par pitié, par bonté ; — et aussi parce qu’elle a appris que Mme de Jusainville faisait de nouvelles avances à M. Julien Delbray, et que celui-ci, par désespérance, était aussi près que possible de les accepter. Une femme peut se refuser, encore qu’elle aime, par terreur de déchoir aux yeux de l’aimé, et c’est une grande délicatesse ; par terreur de ne faire qu’un temps le bonheur de celui qu’elle aime et de faire son malheur ensuite, et c’est une haute générosité : mais s’il s’agit, non d’abandonner l’homme qu’on aime, mais de le céder, si la jalousie se mêle de l’affaire, il n’y a délicatesse ni générosité qui tienne ; tout cela est balayé par un grand vent. « Si quelqu’un doit faire son malheur, j’aime autant que ce soit moi. » Est-ce un sentiment bien féminin ? Beaucoup