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de conserver son unique tête sur ses épaules, au contraire de la belle et infortunée Catherine Howard qui lui avait succédé : mais tous les contemporains s’accordent à nous dire que, désormais tranquillisée et pouvant s’abandonner librement à l’influence « éducative » du luxe et des plaisirs de la vie anglaise, la triste provinciale du portrait d’Holbein avait fini par devenir l’une des dames les plus agréables de la cour de son ex-mari, à tel point qu’on avait soupçonné ce galant prince lui-même d’avoir, plus d’une fois, daigné « flirter » avec elle.

Combien plus prosaïque et plus navrante nous apparaît, en comparaison de cette aventure d’Anne de Clèves, celle d’une autre jeune princesse allemande qui, deux siècles et demi plus tard, est venue pareillement de son pays en Angleterre avec la vaine espérance de s’y asseoir sur le trône de Catherine d’Aragon et de Jane Seymour ! C’était en l’année 1794. Le roi George III avait signifié à son fils aîné, le prince de Galles, qu’il ne consentirait à faire payer ses dettes par le Parlement que si le prince, de son côté, acceptait enfin d’épouser une princesse protestante, de manière à assurer la succession au trône. Il est vrai que le prince de Galles, à ce moment, était déjà marié, — ayant épousé devant un prêtre catholique, le 15 décembre 1785, une jeune Irlandaise, Mme Fitzherbert ; mais il avait caché à ses parens l’incontestable validité de ce premier mariage, telle que nous l’a révélée définitivement, il y a une dizaine d’années, la publication autorisée d’un ensemble de documens tenus secrets jusque-là Le prince avait même, en 1794, notoirement rompu tous rapports avec Mme Fitzherbert ; et ainsi son père n’avait pas été trop étonné d’apprendre de lui qu’il ne refuserait plus de se laisser marier officiellement, moyennant la promesse formelle du règlement de ses dettes.

On lui avait alors proposé, comme jadis à son aïeul Henri VIII, deux ou trois jeunes princesses allemandes : et notamment il y avait parmi elles cette Louise de Mecklembourg-Strelitz qui allait ensuite devenir la célèbre reine Louise de Prusse. Mais toutes les relations des voyageurs étaient unanimes à proclamer la grâce, la beauté, comme aussi la remarquable intelligence de la princesse Louise de Mecklembourg ; et le prince de Galles se trouvait, à cette date, sous l’entière domination d’une maîtresse, l’ambitieuse lady Jersey, qui n’admettait pas qu’une rivale trop aimable risquât de lui disputer son pouvoir sur l’esprit et le cœur de son princier amant. De telle sorte qu’elle avait exigé que le choix de ce dernier, pour un mariage de