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temps, n’est pas heureux. Sa mélancolie est apparue sans voiles. On s’est adressé mutuellement des reproches. Les chefs, a-t-on dit, ne commandent pas ; les soldats, a-t-on assuré, n’obéissent pas ; tout s’en va à vau-l’eau. Peu à peu une lourde atmosphère de tristesse a pesé sur le banquet, et quand M. Combes y a pris la parole, il a donné l’impression d’être l’aumônier des dernières prières. Son discours a d’ailleurs été purement négatif : il est impossible d’y apercevoir l’ombre d’un programme. M. Combes a accusé M. Poincaré de n’avoir que des idées d’ « académicien : » cela vaut encore mieux que de ne pas en avoir du tout, ce qui est le cas de M. Combes et de son parti radical et radical-socialiste qui n’a plus que des adjectifs pour faire ronfler enfin son nom. M. Combes est hostile au projet du gouvernement : soit, mais quel est le sien ? Il dit en avoir un : on voudrait le connaître. Pourquoi ne l’a-t-il pas exposé au banquet radical ? On y aurait retrouvé sans doute toutes les obscurités, les confusions, les contradictions, les impossibilités d’application, les chinoiseries enfin qui ornent le projet que la Chambre vient de voter. C’est tout cela que le parti radical va proposer de reprendre ; c’est avec cela qu’il va essayer de faire avorter la seconde discussion de la loi, comme il a fait avorter la première. Mais cette fois la Chambre est avertie et nous espérons qu’elle ne se prêtera pas à un jeu aussi dangereux.

Il faut s’attendre pourtant à ce que certaines dispositions du projet rencontrent, même auprès des partisans de la réforme, sinon des résistances irréductibles, au moins des hésitations. Jugeant, avec raison d’ailleurs, que beaucoup de départemens sont trop petits et ont un nombre d’électeurs trop restreint pour donner une base d’opération suffisante au scrutin de liste avec représentation proportionnelle, le projet groupe plusieurs de ces départemens pour en faire une seule circonscription électorale. Cette disposition ne passera pas sans difficulté. Le particularisme des départemens n’est peut-être pas une bonne chose, mais il existe et se défendra. Les circonscriptions départementales, telles que la Révolution les a faites, ont été à l’origine une création artificielle, mais ces corps ont pris une âme, qui s’est développée avec une grande puissance de vie et qui répugne à certaines fusions ou confusions. Dans notre organisation administrative, il n’y a de vraiment divans que les départemens et les communes, mais ils le sont à un haut degré : le projet porte une atteinte directe, — une première atteinte, car on annonce que d’autres viendront ensuite, — à des êtres réels qui ont pris conscience de leur personnalité dans les limites qui leur ont été données et par le fait même de