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qu’il adressait ici, soit à Gambetta, soit à Chaudordy. Ils étaient déchiffrés chez nous et il était impossible de les lire sans être ému. Je crois que rarement un homme politique s’est montré aussi complètement lui-même, honnête et sincère dans sa correspondance la plus secrète. Ces pages simples et élevées, profondément mélancoliques, seront l’honneur de sa vie, si jamais elles sont publiées.

Ils avaient une rude tâche à Paris. La population enivrée de son héroïsme (je tâcherai tout à l’heure d’en déterminer la valeur) était aussi peu disposée à céder qu’à combattre. Cependant il fallait capituler avant que les vivres fussent épuisés. Favre se rendit à Versailles. Quelques jours avant, rendant compte de l’état désespéré des choses, il écrivait : « L’homme qui se dévouera à cette lamentable tâche sera accusé de trahison, accablé d’injures, il y perdra sa popularité ; cependant il faut le faire, car autrement la ville se laissera prendre par la Commune, la révolution sera dans la rue, la famine viendra, des milliers périront et par-dessus tout on aura l’opprobre de l’occupation étrangère au milieu de la guerre civile. » — Ce qu’il envisageait ainsi, il l’a fait, seul, sans éclat, sans étalage aucun, se laissant attaquer et accuser. Aucun des outrages, aucune des amertumes qu’il prévoyait ne lui a été épargné. C’est un trait rare en ce temps-ci, et il est triste qu’il soit, qu’il doive rester ignoré aussi complètement. La pudeur se raffine avec la corruption. Nous en sommes à ce point qu’il faudra avoir aussi la pudeur des belles choses. Le peuple de Paris n’a point renommé J. Favre ; trois collèges seulement lui ont donné leurs voix. Parmi les honnêtes gens, bien qu’ils ignorassent absolument le fond des choses, la sympathie était générale pour lui : sa conduite dans les élections y suffisait. On peut dire qu’il a sauvé l’honneur de ses collègues : on l’a accueilli avec une grande émotion et des applaudissemens unanimes quand il est venu remettre le pouvoir.

Le suicide de Bourbaki a été encore un trait, hélas ! il faut le citer, du vieil honneur français. Il n’était qu’un soldat, mais un brave soldat. Jeté hors de Metz par un artifice de Bazaine, il fait tout au monde pour y rentrer. Ne le pouvant, il arrive à Tours avec son épée. On lui parle de l’armée de la Loire, il n’y croit pas et s’en va au Nord. On le rappelle ; cette fois l’armée de la Loire existait, il la voit. On lui en offre le commandement en chef, il refuse : « Donnez-moi deux divisions, »