Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas douteux. Ils espèrent que la France en aura trop, se trouvera mal et qu’un haut-le-cœur les revomira sur nous. Cela serait possible, si la Chambre ne sait pas agir. Les campagnes veulent leurs gendarmes, et le premier qui reviendra, on l’acclamera tout de suite : les affaires allaient sous l’Empire, et c’est l’opposition qui a fait tout le mal. Cela se disait à voix basse sous Gambetta et se répète tout haut maintenant. La France sera à qui lui rendra le repos. Le programme de Bordeaux était admirable et ralliait tout le monde : faire les premiers pansemens sans acception de parti, faire des lois de principe par un accord commun et, l’ordre rétabli, les choses remises dans leur train, laisser au pays, qui aurait eu le temps de réfléchir, le soin de se prononcer. C’était sage et opportun. Aujourd’hui, tout est soumis au rétablissement de l’ordre : il est à souhaiter qu’il soit fait par le gouvernement anonyme qui nous dirige. Un pouvoir monarchique trouverait dans Paris une résistance universelle. Paris vaincu et repris, — il faut qu’il le soit ou nous sombrons, — on verra, mais le mieux alors serait de reprendre le programme de Bordeaux. Les esprits un peu fins et respectueux de la pensée, que l’air du temps étouffera et qui auront besoin, pour respirer, de monter un peu plus haut, se dégoûteront et se détacheront de plus en plus des affaires et de la politique courante, ils se réfugieront en eux-mêmes et se répandront dans la nature. Une philosophie plus intime, un sentiment plus exquis des choses, un détachement plus profond de ce qui est frivole et passager, un élan plus complet vers l’idéal, un stoïcisme un peu attendri, une poésie un peu sévère, — il sortira de ce recueillement une école d’artistes et de philosophes, tous épris de beauté morale, — qui sera peut-être le dernier éclat de l’étoile française. J’ai toujours gravité de ce côté. J’entrevois déjà quelques linéamens et j’aperçois dans quelques esprits une direction commune, sans aucun mot d’ordre pourtant ni entente préalable. Je serai bien heureux d’allumer mon humble lanterne à cette lumière-là, et je caresse pour l’avenir, après quelques années de voyage, d’étude et d’apprentissage, l’esprit mûri et rempli, ayant donné ma mesure par deux ou trois volumes, un peu connu déjà, de monter quelque part dans une petite chaire de critique morale où je ferai l’anatomie des caractères de ce temps et porterai ma petite pierre au monument de Marc-Aurèle.