Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’expédition d’Irlande ne coûta en somme que quelques centaines d’hommes, capturés sur une frégate ou coulés sur deux autres. Au retour à Brest, le vaisseau rasé les Droits de l’Homme, gravement compromis par le mauvais temps, fit côte à Audierne après un magnifique combat soutenu contre les Anglais, enfin ralliés aux atterrages de la Bretagne.

Ainsi donc, cette fois encore, l’audace, la témérité même de l’entreprise, si elle n’obtenait pas le succès, — il ne s’en fallut que du courage moral d’un seul homme ! — du moins en imposait à la fortune contraire.


En commençant cette étude, je parlais de la souplesse avec laquelle des flottes bien constituées et intelligemment maniées se prêtent à toutes les circonstances et adaptent leurs facultés à tous les besoins des armées en campagne. Je ne puis mieux finir sans doute qu’en en fournissant un exemple remarquable, qu’il me faut malheureusement emprunter aux Anglais, puisque aussi bien personne n’a su mieux qu’eux se servir de la force navale pour multiplier le pouvoir offensif de la force terrestre.

Au cours de l’été de 1812, pendant que Napoléon et son immense armée s’enfonçaient au cœur de la Russie, lord Wellington, à qui des circonstances heureuses avaient permis de s’emparer successivement des deux portes d’entrée du Portugal en Espagne, Badajoz au Sud, Ciudad Rodrigo au Nord, méditait d’envahir la province de Salamanque et la Vieille-Castille pour menacer les communications de nos armées avec la France par la Navarre et Bayonne. Le maréchal Marmont, chargé, après Masséna, du lourd commandement de l’armée que l’on appelait encore « de Portugal, » bien qu’elle eut complètement évacué ce pays, voyait venir le péril et demandait du secours au roi Joseph et à ses collègues, les commandans des armées du Nord (Asturies, Guipuzcoa, Biscaye), d’Aragon, Catalogne et Valence, enfin d’Andalousie.

Il ne comptait en effet que 42 000 hommes, une élite, à la vérité, pour arrêter les progrès des 56 000 soldats anglo-hispano-portugais de Wellington[1].

  1. Les Anglais étaient au nombre de 36 000 hommes d’infanterie et de 5 000 cavaliers ou artilleurs environ. Avec un tempérament militaire fort différent de celui des « excellens soldats français, » comme les appelait Wellington lui-même, ces troupes étaient de première valeur.